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et voulut prendre sa main, pour la baiser. « Ce n’est pas la main que je vous dois, lui dit le roi en la relevant, c’est la bouche[1]. » — Et il l’embrassa. Il embrassa aussi Germaine de Foix et donna aux autres dames sa main à baiser. Prenant ensuite sous le bras la reine sa fiancée tandis que l’empereur conduisait de la même manière la veuve de son aïeul le roi Ferdinand, ils entrèrent dans une salle qui avait été préparée pour la danse. Les deux monarques assistèrent à cette fête pendant deux heures et retournèrent fort avant dans la nuit coucher à Torrejon[2].. Le lendemain, ils revinrent à Illescas dans la même litière, et ils visitèrent de nouveau la future reine de France. Cette fois Éléonore, qui, sans être belle, était encore jeune et qui avait toute la grâce de la bonté, dansa à l’espagnole devant François Ier avec la marquise de Zenette[3]. — François Ier et Charles-Quint reprirent ensuite le chemin de Torrejon dans la même litière qui les avait portés à Illescas. Après sept jours passés dans la plus grande intimité, le 19 février, ils partirent ensemble de Torrejon à cheval, l’un pour se rendre à Madrid et de là en France, l’autre pour aller se marier à Séville avec l’infante Isabelle de Portugal. Charles-Quint accompagna François Ier jusqu’à un jet d’arc de Torrejon. Arrivés à un chemin qui se bifurquait et où ils devaient se séparer, l’empereur, se rappelant les défiances du chancelier Gattinara et ne pouvant se défendre lui-même de quelques inquiétudes sur l’exécution du traité, tira le roi à part et lui dit : « Mon frère, vous souvenez-vous des engagemens que vous avez pris avec moi ? — Sans doute, répondit François Ier, et je puis vous répéter tous les articles du traité que nous avons conclu. — Assurez-moi que vous les exécuterez fidèlement de votre côté comme je vais les exécuter du mien ; celui de nous deux qui manquerait à l’autre serait réputé justement un méchant homme et un lâche. — Je les accomplirai exactement dès que je serai dans mon royaume, répliqua François Ier ; rien ne saurait m’en empêcher. — Dans la longue guerre que nous avons eue ensemble, continua Charles-Quint, je ne vous ai jamais haï ; mais si vous me trompiez, en ce qui touche surtout la reine votre femme et ma sœur, je le prendrais à si grande injure que j’aurais

  1. « Estando à dos pasos el uno del otro, la reyna se hincô de rodillas, é le pidió la mano ; el rey lo dixo : « No es de dar sino la boca, » é la abrazó é besó, é se dió por todos los caballeros una grita mostrando mucho regocijo. » Relation, etc.
  2. Hernandez de Oviedo, ibid. — Sandoval, liv. XIV, § 5- — Relation de ce qui se passa à Madrid depuis la signature du traité, dans Captivité de François Ier, p. 503 et aussi p. 509. »
  3. Femme du comte de Nassau, marquis de Zenette et grand-chambellan de l’empereur.