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me permettre de parler des ouvrages qui s’y firent. Il suffit de dire qu’on améliora infiniment cet ordre, et qu’une tendance religieuse remplaça les buts précédens.

« Dans ce même temps, une nouvelle société s’était formée en Allemagne, surtout en Bavière, qui se nommait les illuminés. Plusieurs de ses inventeurs se tenaient à Francfort ou se montraient aussi, sans qu’on les connût pour tels, à Hanau. Ils tâchaient de gagner plusieurs des députés à ce système inique qui avait beaucoup de rapports dans son principe avec le jésuitisme et surtout avec le jacobinisme. Ils firent bien quelques prosélytes parmi les députés, mais sans y gagner beaucoup. Ce n’est que l’année d’après que l’un d’eux, M. Bode, vint chez moi à Cassel pour me parler de ce nouvel ordre, qui se masquait sous les premiers degrés de la maçonnerie. Le commencement paraissait mener au bien, la fin était le renversement de l’église et des trônes. M. Bode était un fort honnête homme et très bien intentionné. Il me remit les cahiers en me disant : « Voici un système qui peut faire le malheur de l’humanité, s’il tombe en de mauvaises mains ; mais, gouverné par un homme qui pense sagement, il peut aussi faire beaucoup de bien. Je remets ceci dans vos mains en ayant les pleins pouvoirs de l’ordre, et vous voudrez bien en être un des chefs. C’est le nord de l’Allemagne, le Danemark, la Suède et la Russie qui dépendent entièrement de vous. » Il me laissa les papiers et me dit qu’il reviendrait prendre mes ordres dans quelques heures. Je les parcourus le plus promptement que je pus, priant Dieu du fond de mon cœur de me guider dans une affaire d’une importance aussi majeure pour le bien du monde. Je vis bientôt de quoi il s’agissait, et mon premier mouvement fut de témoigner combien je repoussais les horreurs qui s’y trouvaient ; mais bientôt je sentis, comme Bode, le mal qui en pouvait résulter dans des mains ambitieuses, égoïstes et se mettant au-dessus des lois de la religion et de la morale. Je ne balançai point et je répondis à Bode, quand il revint chez moi, sur la question qu’il me fit : « Eh bien ! avez-vous lu les papiers ? Comment les trouvez-vous ? Acceptez-vous la charge qui vous est offerte ? — Je n’ai point lu encore jusqu’à la fin, mais j’accepte la charge, avec la condition coutumière dans les hauts grades de l’ordre de la maçonnerie, que personne ne puisse être reçu qu’avec ma permission. — Cela s’entend, répondit-il, et vous pouvez être sûr de pouvoir tout arranger comme vous le trouverez bon. »

« Le nom de la charge s’appelait le national du Nord. C’était un plan parfait de l’introduction du jacobinisme. Je reçus les listes des membres déjà existans ; elles n’étaient heureusement pas fortes, et lorsque je retournai en Danemark, je parlai à plusieurs des premiers, prenant chacun d’eux séparément, — des premiers, dis-je, mais qui n’avaient pourtant pas encore les hauts grades et ne connaissaient aussi point l’abîme où on les entraînait. Je les en instruisis en leur disant que je n’avais accepté d’être le chef du Nord que pour arrêter les progrès de cette monstrueuse société. Dieu soit loué ! elle ne fit plus un pas dans le nord, au moins de mon su-Les persécutions commencèrent en Bavière, et le jacobinisme ne put prendre racine en Allemagne, comme il le fit en France, où j’appris déjà à Wilhelmsbad qu’on préméditait une révolution. »