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bout, comme tous les désespérés, sur un secours étranger. Il s’obstinait à croire que l’Angleterre et la France ne pouvaient laisser périr l’indépendance portugaise, et s’accomplir une conquête qui agrandissait d’un royaume la puissance espagnole. Dans cette lutte inégale, dans cette détresse d’un petit pays, s’agitait une de ces questions qui revivent toujours, une question d’équilibre, de sécurité européenne, de garantie universelle devant une impatience de domination et de prépondérance.

C’est le côté diplomatique de cette question portugaise qui se lie singulièrement, vers la fin du XVIe siècle, à la question hollandaise. Les catholiques du midi et les protestans du nord luttent pour la même cause, contre le même ennemi, avec une fortune bien inégale. Les prétendans portugais n’avaient pas attendu le dernier moment pour agiter les cours de leurs démarches, pour rechercher l’alliance ou la protection de toutes les politiques émues de l’ambition croissante de l’Espagne. Avant la mort du roi Henri, ils négociaient déjà partout ; après la mort du roi, ils redoublaient d’efforts ; chacun d’eux, le prieur de Crato, comme le duc de Bragance, avait ses émissaires à Paris, à Londres, à Rome, même à Madrid, et de leur côté l’Angleterre, la France, le pape, avaient à Lisbonne des ambassadeurs, des agens de toute sorte occupés à débrouiller cette confuse intrigue nouée autour de la succession portugaise, observant tout, observés à leur tour par le pénétrant Moura, qui ne négligeait rien pour les suivre et pour les déjouer. La France envoya successivement l’évêque de Comminges et un agent plus obscur, Abadie ; l’Angleterre envoya Wolton, le pape expédia des légats ; ils étaient tous d’accord pour reconnaître que, si la lutte restait circonscrite entre Philippe II et le prieur de Crato ou le duc de Bragance, l’issue n’était point douteuse, que l’annexion se ferait, que l’Espagne aurait facilement raison d’une résistance d’avance frappée à mort par les divisions. C’est là que la question de succession cessait d’être exclusivement portugaise pour s’élever à la hauteur d’une question européenne qui touchait à toutes les situations.

Certes un intérêt commun liait toutes les politiques, subitement attirées dans ce fourré obscur et lointain. Le mâle et pénétrant esprit d’Elisabeth, la souveraine de la commerçante et protestante Angleterre, ne pouvait voir sans ombrage une annexion qui donnait la domination des mers et un nouvel ascendant politique en Europe au maître du Nouveau-Monde, à l’irréconciliable ennemi de la réformation. L’indépendance portugaise, si petite qu’elle fût, était pour l’Angleterre un rempart, une garantie, et elle pouvait être un levier, comme elle l’a été depuis, contre l’excès d’une autre prépondérance. La France à son tour, la France de la fin du