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blanchis des derniers soldats qui ont défendu la régence sur le sol de la Grande-Kabylie.


II

Histoire et tradition s’accordent donc à établir que les Turcs n’ont jamais régné sur les montagnes djurdjuriennes. Ils avaient pourtant, au début de leurs guerres d’Afrique, un avantage inappréciable : ils venaient combattre avec des arquebuses un ennemi privé d’armes à feu. Malgré l’impression de crainte qu’un pareil armement devait laisser pour longtemps au cœur des indigènes, les succès passagers des Turcs en Kabylie ont été plus que payés par leurs revers. La Kabylie demeura l’asile de tous les mécontens de la régence ; ses sommets, visibles d’Alger, se dressaient comme une menace constante, et l’insoumission du pays des Plissas, cette avant-garde de la Grande-Kabylie, à moins de vingt lieues de la capitale, laisse à penser si l’autorité des Turcs sur le reste du pays méritait le nom de domination. Eux-mêmes d’ailleurs ils eurent vite perdu l’espoir de vaincre la montagne, de détruire l’autonomie kabyle, et ils prirent alors le parti de se retrancher prudemment dans les vallées. Quels ont été là le but, les moyens, les résultats de leur administration ? C’est ce qu’il convient d’approfondir.

Que leur objet capital fût l’argent, le prélèvement des impôts, on ne saurait en conscience le contester ; leur politique de désunion, de fractionnement des tribus n’apparaît même vraiment que comme un moyen au service de leur système financier. Cette politique avait pour agens principaux des caïds turcs installés dans des forts ; elle avait pour instrumens d’exécution des garnisons turques qui occupaient ces forts, des colonies militaires ou zmouls qui les entouraient, des tribus enfin qui, en retour de certaines prérogatives, consentaient à prendre, sous le nom de makhzen, l’attache du gouvernement. En fait de villes ou bordj du pays kabyle relevant de la régence, on, comptait Bougie et Dellys sur la côte ; Bordj-Menaïel dans la vallée de l’Isser ; Bordj-Sébaou, Tizi-Ouzou et plus en ayant Tazerarth, qui dura peu, dans la vallée de Sébaou ; Bordj-Boghni, tout près de notre Dra-el-Mizan, dans la vallée de Boghni, et Bordj-Hamza, le Bordj-Bouïra d’aujourd’hui, dans l’Oued-Sahel. Chacun de ces points était le siège d’une nouba ou garnison plus ou moins forte : Bordj-Sébaou recevait quatre escouades appelées seffras de seize hommes chacune ; Bougie et Bordj-Hamza en recevaient trois ; Dellys, Bordj-Menaïel, Tizi-Ouzou et Boghni, deux. Ces noubas se composaient exclusivement de milice turque, et comme la milice turque ou l’odjack était la puissance qui gouvernait réellement la régence, il ne semble pas sans intérêt d’insister ici quelque peu sur