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lieu d’un blâme M. Katkof recevrait une marque nouvelle de l’estime du gouvernement avec la promesse que la censure de Moscou adoucirait pour lui ses rigueurs en attendant la loi sur la presse. Et voilà comment tournait cette campagne !

Les modérés russes ne se sont pas découragés. Un instant, au commencement de 1865, la rentrée du grand-duc Constantin, placé comme président à la tête du conseil de l’empire, parut être un retour de fortune, une victoire, un encouragement pour eux. C’eût été en effet une victoire, si cette nomination avait eu vraiment un caractère politique. Au fond, le grand-duc Constantin cédait plutôt à l’ennui du repos forcé, de l’isolement où il vivait depuis plus d’un an, et il rentrait dans le conseil de l’empire, comme on pouvait s’en apercevoir bientôt, moins pour y exercer un ascendant réel, moins pour attester un changement de politique, que pour se voir systématiquement neutralisé, diminué, presque humilié par des rapprochemens ou des réconciliations qui coûtent peut-être à son orgueil. On dit même que dans une circonstance le grand-duc Constantin aurait fait demander la paix à M. Katkof par un intermédiaire, et que l’irascible journaliste se serait borné à répondre à l’intermédiaire que si le prince en personne voulait l’entretenir, il était tout prêt à l’écouter. — Eh quoi donc ! pourra-t-on dire, ce grand-duc n’est-il pas le frère de l’empereur ? Ces hommes qui passent pour représenter le parti de la modération, qui luttent contre un courant de politique, ne sont-ils pas des ministres du tsar aujourd’hui encore comme hier ? Comment expliquer qu’ils restent au gouvernement ou qu’ils aient si peu d’action ? Cela tient sans doute aux circonstances, à l’organisation politique de la Russie, qui n’admet point nécessairement l’homogénéité du conseil, qui ne laisse officiellement aux ministres qu’une position tout individuelle, définie et spéciale[1] ; cela tient aussi, en grande partie, au caractère passif et difficile à fixer de l’empereur Alexandre II lui-même.

Je ne sais si jamais prince s’est trouvé jeté dans des circonstances plus redoutables avec une nature moins faite, par ses qualités mêmes si l’on veut, pour les affronter et pour porter de tels fardeaux. Placé entre des influences contraires, l’empereur Alexandre II voudrait, sans exclure les unes, ne pas rompre avec les autres. N’ayant ni la volonté du mal accompli en son nom depuis deux ans ni la volonté qui contient les violences et les passions, il se sauve

  1. Sous ce titre, — Organisation sociale de la Russie, — un jeune diplomate, M. Alfred de Courtois, a publié, il y a deux ans, un livre fait avec soin et scrupule, qui décrit minutieusement la structure sociale et politique de la Russie, mais qui se ressent évidemment d’un certain respect de profession pour les apparences officielles, tout en indiquant néanmoins avec discrétion les points faibles.