M. Katkof, l’écrivain qui a servi le plus à pousser la Russie dans cette voie, et M. Milutine, il n’y a aucun rapport d’opinions et de tendances sur les questions intérieures. M. Katkof est partisan de la noblesse, de la grande propriété, du self-government, de certains droits constitutionnels ; les opinions de M. Milutine, et il ne les cache pas, tendent uniquement et absolument à faire de la Russie une vaste démocratie avec le tsar au sommet, — de telle façon qu’en haine de la Pologne M. Katkof se trouve jeté à l’avant-garde dans une guerre dont M. Milutine reste aujourd’hui le vrai chef, et qui par son caractère réagit sur la marche de l’empire tout entier.
De cette impulsion donnée aux événemens, il est en effet résulté dans la vie politique et sociale de la Russie deux choses également graves : l’esprit de radicalisme et de démocratie s’est introduit dans l’administration russe, a pénétré cette vaste bureaucratie au point de ne plus craindre de s’attester. Et ce n’est pas moi qui le dis, c’est un membre de l’assemblée de la noblesse de Moscou qui se plaignait l’an dernier avec amertume. « Nous devons, dans nos assemblées, disait-il, prêter attention aux on-dit qui expriment l’opinion publique. Un bruit remarquable témoigne journellement et catégoriquement qu’il existe dans quelques administrations des intentions hostiles à la noblesse, que des démocrates, des radicaux, des socialistes et autres gens de même espèce se sont glissés dans la sphère administrative et même aux postes importans. Rappelons-nous les clameurs de la presse provoquées par ces influences et prêchant l’abolition, même le suicide de la noblesse. Rappelons-nous les intrigues des hommes introduits par ces mêmes influences au sein de nos propres assemblées ; rappelons-nous que ces dissertations ont troublé l’opinion publique… »
Chose bien plus grave encore, par cette issue ouverte sur un point à des passions en apparence politiques et patriotiques auxquelles on a livré tout à coup les institutions, la religion, la vie sociale et morale d’un peuple, par cette issue se sont précipités avec un redoublement d’ardeur des instincts d’esprit et d’imagination qui fermentent depuis longtemps, il est vrai, mais qui ont reçu des derniers événemens une impulsion toute nouvelle. Ces années récentes ont vu se développer en Russie de la façon la plus singulière les doctrines du matérialisme le plus grossier, de l’athéisme le plus cru, le nihilisme, qui, après avoir été à l’état sporadique dans la société russe, est devenu tout à fait une épidémie et pénètre sans difficulté dans une multitude de familles de la classe moyenne. Autrefois on s’inspirait volontiers en Russie des publicistes les plus éminens de l’Europe et de leurs théories élevées ; maintenant les livres de Buchner, de Carl Vogt, de Max Stirner, sont