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avec élan. Le feu s’ouvrit d’abord et continua pendant quelque temps entre les arquebusiers pontificaux, qui tiraient du haut des remparts contre les troupes impériales pour les en tenir éloignées, et les arquebusiers espagnols, qui dirigeaient leurs coups contre les défenseurs des murailles, afin de les en déloger et d’y appliquer plus aisément les échelles[1]. L’artillerie du château Saint-Ange, qui s’élevait au-dessus du Borgo vers l’extrémité opposée à celle de l’attaque, mêlait ses détonations au bruit des arquebuses, et quelques boulets de canon venaient en plongeant percer de loin en loin les rangs impériaux[2]. Bientôt le soleil souleva de la plaine humide un brouillard épais qui couvrit d’obscurité l’espace entre les assaillans et les défenseurs et les empêcha de se voir à peu de distance. Ce brouillard, favorable aux impériaux, leur permit d’approcher des remparts pour les escalader. Le duc de Bourbon, donnant l’exemple aux siens, descendit alors de cheval, mit pied à terre[3], prit une échelle, et, faisant signe aux Espagnols de le suivre, il s’avança hardiment vers la muraille occidentale du Borgo entre la porte Torrione et la porte Santo-Spirito. A peine s’en approchait-il selon les uns, l’avait-il escaladée selon les autres, qu’une balle d’arquebuse l’atteignit à l’aine droite et le renversa. A en croire une relation du temps, il ne fut pas tué du coup. Il recommanda de continuer l’attaque sans se décourager, et fut transporté dans une petite chapelle du voisinage, d’où plus tard, lorsque le Borgo fut pris, il fut conduit au Campo-Santo, y reçut le viatique pendant que ses troupes commençaient le sac de la ville pontificale, chargea son confesseur de ses recommandations pour Charles-Quint, demanda à être enterré à Milan, et expira en criant dans le délire de son agonie : A Rome ! à Rome[4] !

  1. « Et dura la bapterie de harquebuses d’une part et d’aultre près d’une heure. » Lettre de Guill. du Bellay.
  2. « Le prince d’Orange et son cheval estourdis et abbatuz de la terre du bond d’ung boulet de canon. » Lettre de Guillaume du Bellay.
  3. « Cependant qu’ils dressèrent leurs eschelles, à quoy leur ayda fort ung très grant brouillard qui se leva devant le jour et furent en grant bransle de n’en vouloir point taster ; mais Bourbon saillit en pieds pour leur donner courage, lequel, avant qu’il arrivast à l’eschielle, eut ung coup de arquebuse au-dessus de l’aynne. » Lettre de Guillaume du Bellay.
  4. Dans une relation concernant la prise de Rome, écrite le 3 juin 1527 et déposée au Brit. Mus., Vitellius, B. IX, où elle a été copiée et insérée dans le 92e vol., Mss. de Bréquigny, f° 111, il est dit : « Estant encoires sur la muraille, mond. sr de Bourbon fust tellement blesché et constraint de l’ayder à descendre et feust porté à une chapelle estant assez près de la ville, où il fust regardé quelque espace de temps et jusques que la dite porte de Thurion fut gaignée et que les gens de guerre y peurent entrer, que lors ledit sr fust porté dedans l’église de Campo Saint… M. de Bourbon termina de vie par mort, mais avant icelle fist le debvoir de bon chrétien, car il se confessa et rechut son créateur, requist qu’il fusté port en Milan, et dit-on qu’il avoit en son entendement Rome, pour ce qu’il disoit toujours : A Rome ! à Rome ! » — Ce qui rend ce récit vraisemblable, c’est ce qu’écrit en juin 1527 le confesseur du duc de Bourbon à l’empereur. « Mémoyre playse avoir vostre impériale majesté de se que vostre bon et fidelle serviteur feu monsgr le duc de Bourbon a commandé à son confesseur dire de par luy à voustre ditte majesté. » Archives impériales et royales de Vienne. — Charles-Quint, se rendant à l’un des désirs exprimés par le connétable mourant, donna des ordres au sujet de ses funérailles. « Quant à l’enterrement du duc de Bourbon, dès qu’ils l’auront transporté à Milan, on exécutera ponctuellement ce que votre majesté m’a ordonné. » Antonio de Leyva à l’empereur, de Milan, le IIIIe du mois d’août 1527. — Lanz, t. Ier, p. 243.