génératrices, les relations constantes, les formes stables, les types. Or qu’est-ce que les lois, les types, les formes, sinon les idées que la science humaine parvient à extraire de l’observation empirique et à l’aide desquelles nous dominons la matière brute des faits ? La nature bien comprise se résout donc en idées. Et que peut-il y avoir de plus beau que la nature vue dans les idées ? Plus on y apporte une connaissance profonde de son essence, plus la contemplation en est un plaisir, plus ce plaisir est noble, élevé. La vraie magie de la nature, son prestige poétique, c’est sa grandeur et sa simplicité, qui ne se révèlent qu’à la science.
Malgré tout, je ne me rends pas encore. Je reste dans le doute, non pas sur la beauté du spectacle qu’offre à l’esprit la nature contemplée dans les idées, mais sur le légitime emploi des connaissances exactes, positives dans la poésie. Ou plutôt je tiendrais à bien marquer une distinction, qui me paraît essentielle dans la question, entre le sentiment général, l’émotion esthétique qu’excite en nous le spectacle des forces harmonieuses de la nature, et la science analytique, détaillée, des phénomènes et des lois dans leur sèche et nue précision.
Des exemples, que Goethe lui-même me fournit, serviront à préciser cette distinction et à expliquer ma pensée. Prenons Werther. Quand je lis les premières pages toutes parfumées de jeunesse et de printemps, avant les souffrances, avant l’amour, et que le poète me peint Werther rêvant sur la colline, sous les rayons du soleil de midi, plongé dans l’ivresse d’une sensation infinie, adorant cette belle et forte nature, mère et nourrice des choses, qui se colore, qui s’échauffe, qui étincelle autour de lui, écoutant le sourd travail de l’activité universelle d’où sortent les êtres, recueillant les vagues échos de la germination mystérieuse où s’élabore la vie, je jouis délicieusement de cette poétique et vigoureuse peinture, et par une insensible contagion l’ivresse du philosophe naturaliste s’insinue au fond de mon âme. De même dans un grand nombre de poésies, toutes pénétrées de l’âme secrète et des forces divines de la nature ; de même quand le docteur Faust nous décrit, dans sa méditation sublime, le travail de « la puissance éternellement active et créatrice ; » en mille autres endroits encore, j’admire quelle énergie et quelle nouveauté d’accens le poète emprunte au sentiment scientifique qu’il a de cet infini vivant. Mais dans tout cela qu’y a-t-il ? Rien que de grandes et profondes émotions, l’émotion du mystère des choses ou de la nature possédée en partie par nos désirs, par nos rêves, par nos anticipations sublimes, en partie par nos expériences et nos idées. Ce n’est pas la science positive avec ses instrumens de précision, réduisant en formules la réalité mouvante, et en chiffres le brillant tumulte des faits.