parfaitement fondée, la démonstration n’était possible qu’à une condition, celle de prouver que Paul n’avait jamais été coupable d’aucun des actes qu’il reprochait à son chef comme une déviation de l’Évangile. Or on ne pouvait nier, l’histoire de saint Paul sous les yeux, que cet apôtre n’eût judaïsé. Augustin éludait la difficulté en disant qu’en effet il avait judaïsé, mais non de la même façon que Pierre, que leur judaïsme était de deux natures différentes, celui de Pierre un judaïsme d’intention et de foi, celui de Paul un judaïsme de simulation. Cet apôtre, disait-il, nous l’apprend lui-même par ces paroles : « Je me suis fait comme Juif pour gagner les Juifs, et j’ai vécu comme un homme qui n’a point de loi, afin de gagner ceux qui n’ont pas de loi. » Les manières de judaïser étant si dissemblables, ajoutait Augustin, Paul avait pu interpeller son chef et lui reprocher son judaïsme à lui, sans encourir l’accusation d’inconséquence ou « d’effronterie, » comme osait s’exprimer Porphyre.
Jérôme tout d’abord mettait à néant cette argumentation, et demandait si le genre de simulation que son contradicteur prêtait à l’apôtre Paul ne serait pas un mensonge officieux d’une nature au moins aussi grave que la fiction supposée des débats d’Antioche. Il cherchait ensuite à démontrer que les paroles de saint Paul ne devaient pas être prises à la lettre. « En effet, disait-il, Paul, vivant comme un Juif, offrait des sacrifices au temple et se soumettait aux purifications mosaïques. Penses-tu qu’il ait agi de même vis-à-vis des gentils lorsqu’il vivait au milieu d’eux « comme un homme sans loi » ? Prétendrais-tu par hasard qu’il offrait aussi des sacrifices aux idoles et se souillait dans l’observation de coutumes entachées de paganisme, reniant lui-même son Dieu afin d’y mieux gagner les gentils ? En vérité, tu ne l’oserais pas, et nul texte de l’Écriture ne t’inspirerait cette hardiesse. Saint Paul a voulu dire simplement qu’il savait se plier aux temps et aux circonstances pour attirer au Christ les Juifs et les gentils en vivant comme eux dans les limites tracées par sa propre loi. Pierre n’avait pas fait autrement à Césarée, et il y avait entre eux parité.
« Non, non, répliquait Augustin, leur judaïsme était de nature différente, » et là-dessus il entrait dans une distinction très subtile sur les pratiques essentielles de la loi mosaïque et sur ses pratiques indifférentes. Les pratiques essentielles, suivant lui, étaient celles auxquelles s’attachait un point de foi, une idée de perfectionnement spirituel, une intention de servir Dieu et d’arriver par là à lui plaire : dans ces pratiques accomplies avec conviction, on était réellement Juif. Au contraire, les pratiques indifférentes, celles qui n’avaient point pour but le salut, qui n’entraînaient ni responsabilité morale, ni mérite, ni démérite, constituaient non point le véritable Juif, mais un Juif simulé : c’étaient celles-là que Paul avait suivies.