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et religieuses de l’Irlande, la réforme du système électoral, une politique étrangère suivie et décidée, on ajournait tout à la mort de lord Palmerston. Les ambitions naturelles avaient elles-mêmes marqué ce terme à leur patience. Tout cela était couvert d’un air de force et d’un rayonnement de prospérité. Nous avons connu chez nous de ces périodes où l’inaction politique prend les rians dehors de la béatitude. Il serait doux d’y planter sa tente durant quelques années de jeunesse, si elles ne devaient être suivies de pénibles réveils. Lord Palmerston a été pour l’Angleterre l’homme de la sieste ; lord Russell est l’homme du réveil. Son rôle certes est moins agréable et plus difficile. Il est aux prises avec un lourd arriéré ; il lui est prescrit d’agir ; les ambitions lui demandent compte de leur longue attente et sont résolues à ne pas lui laisser de repos. L’Angleterre veut au pouvoir un homme d’action. Le second malheur de lord Russell, qui a toujours été un esprit hautain et solitaire, c’est d’aborder une situation semblable privé de l’élasticité de la jeunesse ou de l’activité d’une maturité robuste. Lord Russell est un vieillard. « Il est même plus vieux que son âge, disent ses adversaires, car il avait dix ans en naissant. » Le monde politique anglais est donc exposé à commettre en ce moment quelques injustices envers lord Russell, puisqu’il exige de lui des facultés et des ressources que son âge ne comporte plus. Au surplus, ces exigences sont naturelles, et une nation n’est point tenue de bercer au pouvoir deux vieillesses consécutives. Les nations n’ont pas d’âge ; il faut, pour les servir à leur gré, avoir le bonheur de posséder la jeunesse ou la force de la retenir en soi. Lord Russell, avec son grand esprit et son ferme désintéressement, ne doit point se faire illusion sur l’incompatibilité qui éloigne maintenant sa personne du pouvoir. Il n’a pris les affaires à la mort de lord Palmerston que pour remplir un interrègne et donner le temps à une situation nouvelle de se débrouiller, de s’éclaircir et de produire ses hommes. C’est ce premier travail de dégrossissement qui va s’opérer probablement aux dépens du ministère à propos du bill de réforme. Ce projet, très étroit, très inconséquent, porte les traces des incertitudes actuelles de la politique anglaise. Bien qu’il ait mis deux heures et demie à l’expliquer, M. Gladstone l’a présenté avec un embarras visible, insistant dès le début sur les difficultés de la question et ne rencontrant dans le cours de sa harangue aucun de ces élans lyriques qui l’emportent si naturellement quand il discute une mesure financière. La chambre, dès le premier soir, a fait à ce projet de réforme le plus mauvais accueil. Le grand reproche qu’on adresse au ministère, c’est de ne proposer qu’un plan incomplet, fragmentaire, de ne point embrasser la rénovation du système électoral dans son ensemble pour le fixer d’une façon définitive. M. Laing a exprimé ces critiques dans un très solide discours ; mais c’est surtout M. Horsman, un des plus éloquens orateurs des communes, un libéral opposé à la réforme, qui a combattu à cœur-joie la mesure ministérielle. M. Horsman, avec cette verve de sarcasmes qu’aime et applaudit toujours un auditoire britannique,