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en robes blanches, avec les cheveux épars et les âmes pures, demander de l’eau à Jupiter ; aussitôt il pleuvait à seaux, et elles revenaient mouillées comme des rats. Aujourd’hui, quand il s’agit de venir à notre aide, les dieux ont les pieds liés, parce que nous ne les honorons plus. Voilà pourquoi les champs ne rapportent plus rien ! »

Heureusement les mécontens n’étaient pas les plus nombreux. Les villes recevaient d’ordinaire avec reconnaissance les libéralités de leurs magistrats, et les inscriptions nous montrent que cette reconnaissance s’exprimait souvent avec beaucoup d’effusion. On payait en honneurs et en complimens ce qu’on recevait en bons dîners et en spectacles. Tant que le magistrat vivait, on ne lui marchandait pas les éloges ; après sa mort, on lui faisait des funérailles publiques dans lesquelles on brûlait souvent jusqu’à dix livres de parfums, et l’on donnait à sa famille, sur le bord d’un chemin public, quelques pieds de terre municipale pour lui construire un tombeau. D’autres fois la reconnaissance allait plus loin. A la suite de quelque libéralité moins ordinaire d’un duumvir ou d’un quinquennalis, les décurions se réunissaient dans un temple pour y voter au magistrat généreux une statue équestre ; en même temps le peuple se rassemblait au forum et décidait l’érection d’une statue à pied. Ce double vote était accompagné de louanges hyperboliques, et l’on rédigeait des décrets en cette langue pompeuse et solennelle que l’on parlait dans la curie des petites villes aussi bien que dans le sénat de Rome. Ici encore cependant tout se tournait contre la bourse du malheureux magistrat. Il était de règle que, généreux jusqu’au bout, il n’acceptât pas ces libéralités municipales ; heureux de l’honneur qu’on lui faisait, il épargnait la dépense à ses concitoyens : honore contentus, impensam remisit, c’était la formule. Cela veut dire qu’il faisait élever les deux statues à ses frais et s’honorait ainsi à ses propres dépens ; puis, le jour de la dédicace venu, il ne pouvait pas se dispenser d’offrir des repas publics et des fêtes magnifiques aux décurions et au peuple, qui, sans rien débourser, trouvaient ainsi moyen de se montrer reconnaissans, et même de tirer un honnête profit de leur reconnaissance.

Mais alors, dira-t-on, pourquoi briguait-on avec tant d’ardeur des honneurs si coûteux ? — Il serait difficile de le comprendre, si l’on ne connaissait l’amour qu’on avait pour ces petites villes d’où l’on ne sortait guère. En ce temps où les relations étaient moins faciles et l’horizon plus borné, l’affection s’éparpillait moins qu’aujourd’hui, et naturellement il y en avait davantage pour ces lieux qu’on ne quittait pas. C’était par un effort d’abstraction philosophique que les stoïciens s’appelaient citoyens du monde entier ; nous