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révoquerait pas ses gouverneurs provisoires et ne reconnaîtrait pas les gouverneurs Orr et Humphreys, élus du peuple, tant que l’amendement constitutionnel ne serait pas ratifié : les deux législatures votèrent l’amendement. La Caroline du Word répugnait à répudier la dette rebelle : il envoya par le télégraphe un message impératif au gouverneur, et la mesure contestée fut votée séance tenante. Cette docilité faisait contrasté avec l’orgueil récent de la convention du Mississipi inaugurant ses travaux par la validation de tous les actes faits pendant la rébellion par la législature, ceux même qu’on lui demandait d’annuler, — où bien avec l’insolence de la Caroline du Nord annonçant tout haut qu’elle allait user des droits qu’on lui restituait pour empêcher à tout prix le rétablissement de l’Union. ~ D’autres états refusaient encore la protection due aux affranchis dans les cours de justice, et le sentiment public était si intraitable que le gouverneur Holden pensait encore et disait à ses amis « que le peuple mourrait plutôt que de se soumettre au suffrage et au témoignage des noirs. » A Raleigh, dans la Caroline du Nord, un citoyen unioniste déclarait dans un meeting unioniste, et aux applaudissemens de tous, qu’il se tuerait plutôt lui-même avec sa famille que de voir jamais le nègre devenir son égal dans une cour de justice. Mais le président Johnson venait alors avec sa voix sévère, son geste impérieux, une main pleine de châtimens ; une main pleine de bienfaits, et derrière lui, comme des dogues muselés et féroces, les radicaux aboyans qu’il menaçait de lâcher sur le sud. Il montrait aux récalcitrans tantôt MM. Chase et Sumner avec leur droit de suffrage des noirs, tantôt l’impitoyable Thaddeus Stevens et son projet de confiscation générale et de paiement de la dette fédérale avec les terres des rebelles, — et les gens du sud, effrayés, passaient en murmurant sous le joug. Ce joug d’ailleurs était bien doux et bien léger : il suffisait à la convention constitutionnelle de la Floride, pour rentrer en grâce auprès du président, de déclarer qu’en général personne ne pourrait être incapable, à cause de sa couleur, de témoigner dans une affaire où un homme de couleur serait intéressé. La chambre des représentans du Mississipi admit aussi, quoique à grand’peine, une loi plus molle et plus indécise encore, accordant aux seuls intéressés, plaignans ou défendeurs, le droit de paraître en justice, mais refusant toujours aux non-intéressés le droit de témoigner pour un de leurs frères. Le président Johnson jugeait apparemment ces concessions suffisantes, car il ne demandait rien de plus pour la protection des affranchis.

Il se rapprochait pourtant des radicaux. Le retour périodique des élections annuelles de novembre avait fait sentir à tous la nécessité d’une alliance contre les démocrates sécessionistes, qui