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c’est de procurer aux ouvriers associés, dans les meilleures conditions de qualité et de prix, les denrées de consommation, notamment celles qui sont destinées au ménage. Voici le moyen : à l’aide de l’épargne, accrue par le versement de minimes cotisations, les associés organisent un magasin, nomment un gérant, font acheter les denrées en gros et les achètent individuellement au détail. Les magasins qui sont ainsi formés doivent-ils être ouverts à tout le public ou aux associés seulement ? Convient-il que le prix de vente soit immédiatement réduit au prix de revient ou qu’il soit maintenu au cours du marché général, saut à répartir plus tard entre les acheteurs le bénéfice formé de la différence entre le prix de revient et le prix courant ? Ce sont là des questions d’application, très importantes sans doute, mais indifférentes pour l’étude préalable du principe. Il importe surtout d’examiner la combinaison en elle-même, de décider si elle constitue un progrès, si elle est facilement réalisable, enfin dans quelles circonstances et dans quelle mesure elle pourrait être utile aux populations ouvrières.

L’objet et le résultat de la combinaison, c’est de supprimer pour une classe de consommateurs les intermédiaires qui, sous le nom de bouchers, de boulangers, d’épiciers, etc., font le service de l’alimentation publique. Est-ce là un progrès ? L’expérience enseigne que la consommation est d’autant mieux pourvue que le travail de l’approvisionnement et de la vente se répartit entre un plus grand nombre d’agens, et il doit en être ainsi, parce que chaque branche de commerce exige des aptitudes spéciales et s’exerce dans des conditions particulières. Plus l’effort est concentré et ramassé en quelque sorte, plus il est puissant et fécond. Il est permis d’affirmer que, pour l’abondance, la régularité et la qualité des approvisionnemens, aucun système n’est préférable en général au régime de la division du travail et de la distinction des professions, régime que l’on voit s’établir presque au début de toute organisation sociale, et s’étendre au fur et à mesure que l’ordre et la civilisation se développent. Le système que l’on préconise est absolument contraire à ce qui se pratique partout, et quand il s’agit d’un intérêt aussi sérieux, aussi universel, cette contradiction, apportée par les faits et attestée par l’expérience, équivaut à une condamnation décisive. Serait-il vrai pourtant que l’association, exploitant un magasin de denrées alimentaires, puisse assurer à ses affiliés une économie dans les prix d’achat, parce qu’elle leur réserverait le bénéfice que prélève le marchand de détails C’est le côté séduisant de la proposition ; mais on oublie que le bénéfice du boulanger, du boucher, etc., n’est autre chose que la rémunération d’une dépense de capitaux, de temps, d’intelligence, et la compensation des