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les restes des morts, par les menaces terribles qu’on profère contre ceux qui oseraient violer leurs sépultures. Ce qui donnait plus de force à ces terreurs, c’est qu’elles réveillaient dans l’âme des superstitions païennes qui sans doute n’y étaient pas entièrement éteintes. Ce mélange des deux religions a dû s’accomplir plus d’une fois dans les premiers temps du christianisme. Il a dû souvent arriver que des croyances anciennes ont trouvé moyen de se rejoindre par des chemins inconnus à des croyances nouvelles, qu’elles en ont ou accru l’intensité ou altéré le caractère, et ce serait une étude fort intéressante que de chercher tout ce qu’il entre de paganisme dans les doctrines même les plus essentiellement chrétiennes. Ici le rapprochement est visible. « Mortel, disent les épitaphes païennes, respecte les Mânes. — Qu’il ait les dieux du ciel et de l’enfer irrités contre lui, celui qui troublera mon repos ; — qu’il reçoive d’autrui le traitement qu’il m’aura fait subir ; — qu’il périsse le dernier des siens ! » Les chrétiens ne sont pas moins violens dans leurs imprécations : « Que celui qui touchera à mes os soit anathème ; — qu’il meure de mort violente ; — qu’il soit privé de sépulture ; — qu’il ne ressuscite pas, qu’il ait le partage de Juda, celui qui outragera mes restes ! » L’emportement est le même des deux côtés, mais le motif n’est pas semblable. Les païens, qui croyaient vaguement à une sorte de persistance obscure de la vie dans le tombeau, craignaient qu’une main impie ne vînt interrompre ou troubler cette existence posthume. Les chrétiens avaient peur qu’en dispersant les membres on ne mît quelque obstacle à la résurrection du corps. Cette crainte est très naïvement exprimée dans une inscription de Côme, aujourd’hui presque effacée et illisible, mais dont M. Le Blant a retrouvé une copie dans les papiers de Peiresc : « Au nom du Seigneur et du jour redoutable du jugement, respecte ce tombeau jusqu’à la fin des siècles, afin que je puisse sans empêchement jouir de la vie éternelle quand viendra celui qui doit juger les vivans et les morts[1]. »

Mais avant ce jour terrible, dont l’attente faisait frissonner les fidèles, que deviennent les âmes des justes ? C’était alors une question très controversée et qui donna naissance aux discussions les plus vives. Les uns croyaient qu’elles étaient admises auprès de Dieu aussitôt après la mort, les autres qu’elles ne devaient se

  1. Un seigneur franc avait fait graver sur la plaque extérieure de son tombeau ces paroles hautaines : « Que jamais les os de Hilpéric ne soient enlevés d’ici, je ne le veux pas ; » et à l’intérieur ces mots plus humbles : « Je vous prie, n’enlevez pas d’ici les os de Hilpéric. » Cette tactique est assez curieuse. Il avait taché d’intimider d’abord les profanateurs ; mais si ce moyen ne réussissait pas, s’ils ouvraient la tombe, il essayait de les arrêter par ses prières.