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de le refaire. Dans la Viennoise, les hommes et les femmes, les clercs et les laïques sont tous invariablement, adroits, généreux, patiens, très doux et propres à ce qu’ils font, astutus, largus, patiens, dulcissimus, aptus. Il arrive même qu’on attribue à un enfant ces graves qualités. Ce qui favorisait ces échanges d’épitaphes, c’est qu’elles sont ordinairement très vagues, elles peuvent servir à tout le monde parce qu’elles ne conviennent proprement à personne. Comme les parens du défunt n’étaient plus assez habiles pour les composer eux-mêmes, ils allaient trouver quelque savant personnage dont c’était la profession. Voilà pourquoi on n’y retrouve plus l’expression de sentimens personnels et de douleurs véritables. Il est rare qu’on prenne la peine de pleurer avec le cœur les infortunes des autres. Le rédacteur était naturellement plus préoccupé de lui que du mort ; il cherchait à faire briller son talent, et, convaincu que la poésie lui ferait plus d’honneur que la prose, il écrivait l’épitaphe en vers. Or les vers ne sont pas la langue naturelle des inscriptions. Il y entre trop d’à peu près ; le verbiage y est trop facile ; on y sent trop le métier et l’école. Tous ces défauts réunis se retrouvent dans les inscriptions en vers de la Gaule. Comme elles sont l’œuvre d’indifférens, il est rare qu’elles soient touchantes ; les imitations d’auteurs païens dont elles sont remplies les empêchent d’être franchement chrétiennes. On sent que le poète qui les écrit vit des souvenirs du passé, et qu’il ne se livre pas à son temps. Il n’en a pas les passions qui animeraient ses vers ; il demeure étranger à la foi naïve de ses contemporains ; il n’éprouve pas, il ne reproduit jamais sans les affaiblir les sentimens populaires. Placé à la limite de deux époques, il trouve moyen de ne prendre que leurs défauts ; il n’emprunte à la barbarie qui commence que des incorrections et des fautes de quantité, et à la civilisation qui finit que de ridicules antithèses.

En lisant ces vers, où la grandeur du fond disparaît sous la puérilité de la forme, où les plus nobles idées sont dénaturées par des jeux de mots ou affadies par des élégances d’école, on se demande par quelle mauvaise fortune le christianisme naissant n’a trouvé pour le chanter que des Prudence, des Sidoine et des Fortunat. On prétend d’ordinaire que tout ce qui ébranle les âmes et leur communique une vive impulsion inspire et renouvelle la poésie. Voilà pourtant une des révolutions les plus profondes qui aient agité l’humanité, et dont le contre-coup s’est fait sentir chez tous les peuples, qui n’a pas donné naissance à un seul poète. Il lui a été plus facile de rajeunir le monde que de rafraîchir un art vieilli. Rien n’a pu rendre à cette poésie épuisée un peu de mouvement et de vie, ni l’élan des âmes vers la foi, ni les merveilles de la charité, ni les