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récits. Quelques passages isolés, sujets à discussion, ne sauraient prévaloir, aux yeux d’une exégèse rationnelle, contre le sens permanent et pour ainsi dire immanent des deux histoires.

Nous venons de résumer dans ses résultats les mieux avérés un travail plus que séculaire de la critique religieuse. De forme et de fond, quant aux événemens racontés et quant aux doctrines enseignées, entre les synoptiques et le quatrième Évangile il y a conflit. Sans nier en aucune manière la valeur de l’un ou de l’autre des deux types évangéliques, tout en pressentant qu’ils pourraient bien avoir l’un et l’autre leur genre de légitimité, on conçoit pourtant que l’historien qui ne se borne pas à lire et à admirer la vie de Jésus, mais qui veut la retracer aussi fidèlement que possible au moyen des documens dont il dispose, soit tenu de faire un choix entre les deux représentations et de subordonner complètement l’une à l’autre.

C’est ici que se présente à nous la question de l’authenticité du quatrième Évangile et par conséquent de sa valeur comme document. Il est clair que, s’il a pour auteur un témoin oculaire, un disciple intime de Jésus, il faudra bien voir en lui le corps même, l’élément fondamental de l’histoire évangélique. Conformément à notre rôle de rapporteur, nous devrons sur ce point faire l’historique de cette question d’authenticité si fortement controversée. C’est le propre de ce genre de travaux que l’exposé des variations successives de la critique soit un des meilleurs moyens d’arriver à la solution des problèmes dont elle s’occupe.


II

Théophile d’Antioche, vers 180, est le premier écrivain chrétien qui dise positivement que l’apôtre Jean est l’auteur du quatrième Évangile. Toutefois on trouve quelques indices antérieurs de son existence et de l’autorité que déjà il avait acquise ; mais il est remarquable qu’antérieurement la tradition soit muette sur le nom de l’auteur du livre, et que ce soit chez les amis de la gnose que l’on découvre les plus anciennes traces certaines de l’emploi du quatrième Évangile comme « écriture sainte. » Du reste, aucun passage connu de ce genre ne remonte au-delà de l’an 150. Les premiers pères, Clément Romain, Hermas, Polycarpe, Ignace[1], ne le citent jamais. Tout tend à prouver que Papias, cet évêque asiatique du milieu du IIe siècle à qui nous devons les plus anciens

  1. Ce dernier, bien entendu, dans la collection primitive de ses épîtres, qui seule peut encore prétendre à une authenticité que, pour notre part, nous croyons plus que douteuse.