Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 63.djvu/1011

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lemment au sein d’une obscurité croissante, qui font de ce qu’on nomme par un banal euphémisme l’ordre européen — un désordre gigantesque. À travers tout cependant, ce qu’il y a de plus clair, de plus net, de plus saisissant pour l’imagination, de plus avouable pour la raison, c’est l’Italie se remettant en marche, non plus seulement pour conquérir ce « nécessaire, » — porro unum necessarium, — ce minimum d’indépendance qui a été pendant si longtemps le rêve modeste de tant de patriotes sensés, mais pour achever l’œuvre extraordinaire de son unité nationale, pour aller chercher, elle aussi, le couronnement de son édifice. Pour moi, j’ai vu naître cette crise à Florence, à Turin, à Gênes, à Bologne, à Rome même ; je l’ai suivie pas à pas. J’ai senti s’ébranler ce sol italien d’où jaillissent depuis deux mois les ouvriers de la sanglante moisson. Je voudrais dire comment cette explosion nouvelle naît tout à la fois d’une situation intérieure poussée à bout et d’une situation diplomatique sans garantie, comment elle est tout ensemble italienne et européenne, comment enfin ce qui arrive aujourd’hui n’est que la suite naturelle, directe, invincible de ce passé d’hier, qui après tout n’était encore dans une certaine mesure qu’un laborieux prélude.

C’est là toujours en effet le caractère de ces œuvres d’émancipation nationale qui ont à se faire leur place. Avec une apparence de simplicité, elles sont prodigieusement complexes. Elles ne sont pas seulement l’expression de profondes nécessités intérieures qui tendent sans cesse à se faire jour, elles se rattachent à tout un mouvement général auquel elles s’assouplissent, dont elles suivent les fluctuations. Tant qu’elles ne sont pas accomplies, elles ne connaissent que des trêves et elles restent toujours prêtes à saisir les occasions. Le but peut se voiler un instant, il ne disparaît jamais, il ne change jamais, même quand les moyens changent. Une fois l’unité italienne fondée, réalisée dans ce qu’on pourrait appeler, par un bizarre assemblage de mots, une improvisation réfléchie de passion nationale, la suite était évidente. Ce n’était plus qu’une question de temps, de mois, d’années. Depuis cinq ans, à vrai dire, l’Italie est en marche vers le but qui se dévoile aujourd’hui dans un déchirement universel. Elle y marche de toute l’énergie d’un sentiment national qui trouve dans ses victoires mêmes et jusque dans ses embarras un stimulant pour aller plus loin ; elle y marche avec les forces et les faiblesses d’une organisation qui se sent incomplète et menacée tant qu’elle n’a pas conquis ses dernières défenses, tant que le mouvement d’où elle procède n’est pas allé jusqu’au bout.

Lorsque, au lendemain des annexions qui créaient l’unité par la fusion du midi et du nord, l’Italie s’arrêtait un instant pour