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Encore M. Capoul avec son arbalète et sa romance, encore le gros sénéchal, le page-troubadour et la princesse de Navarre ! passe pour la princesse, car elle est si jolie, Mlle Cico, qu’on oublie en la regardant de l’écouter chanter ! — Le soir de la première représentation de la Colombe, l’Opéra-Comique donnait en commençant Rose et Colas, une bergerie du bon vieux temps, naïve, honnête, convaincue. Paroles et musique, tout s’y tient, marche d’ensemble ; rien chez le compositeur qui trahisse le besoin de tirer à soi, cette virtuosité à outrance que les imbéciles prennent pour du génie : une sentimentalité pleine de bonhomie. Cela fait sourire, tant c’est peu de chose ; cela fait pleurer, tant c’est sincère. Ce brave Monsigny n’en sait point si long ; il a son cœur et vous le donne. « J’aime mieux ma mie, ô gué ! » s’écrie Alceste, et le grand misanthrope a raison, car tout ce marivaudage musical, ces bouts-rimés, ces madrigaux, ces éternels élancemens vers le sublime à propos de tout et de rien,

Ne sont que jeux d’esprit, qu’affectation pure,
Et ce n’est pas ainsi que parle la nature !

L’auteur des Joyeuses Commères de Windsor méritait mieux, ce semble, que l’accueil froid et dédaigneux qu’on vient de lui faire au Théâtre-Lyrique. Sans être de la race des héros, ce Nicolaï a de la clarté, de l’abondance dans la mélodie, beaucoup de verve humoristique, de la gaîté même et non cherchée. Du reste, point de système, nulle prétention à l’école, au progrès, au rôle de réformateur. Pendant le trop court espace de temps qu’il vécut, amuser, réjouir son monde fut sa grande affaire, et il y réussit, du moins en Allemagne, où ses Joyeuses Commères sont, avec le Tsar et le Charpentier d’Albert Lortzing, également mort jeune, l’ouvrage le plus populaire du théâtre de demi-caractère. A eux deux, Lortzing et Nicolaï, ils eussent créé le bouffe allemand ; la mort ne l’a point permis, trouvant peut-être que l’opéra-comique, comme nous l’entendons en France, suffisait. Les grands critiques incapables d’admettre d’autres droits que ceux du génie ont pour principe de se récrier contre ces petits talens qui, sans trop prêter à la théorie, se font applaudir sur la scène. Tout le monde pourtant ne saurait s’appeler Schumann ou Wagner ; les Adolphe Adam, même en Allemagne, peuvent avoir leur public. Poetœ minores, musiciens de second ordre, que m’importe, si ma curiosité d’artiste trouve où se prendre ? Non que le style de Nicolaï soit très individuel, mais il a sa marque jusque dans son éclectisme, qui n’est ni celui du premier Meyerbeer, tout rossinien, ni, celui de M. de Flotow, un pur Français à la suite d’Auber. J’y saisis plutôt un mélange de Cimarosa et de Weber : le naturel, la bonhomie, la note émue, attendrie du maître napolitain, et sous ce dessin mélodique, ces rhythmes vifs, une harmonie, une instrumentation piquantes, le développement thématique d’un Weber dans Abou-Hassan. Je conseille aux gens épris de dilettantisme, à ceux que tout raffinement intellectuel trouve amusables,