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l’austérité des dehors, même progression dans la grâce des lignes et l’animation des physionomies. A la contenance presque solennelle de la religieuse et de la mère de famille agenouillées au premier plan succèdent, dans les figures voisines, les apparences d’une méditation moins profonde, d’une immobilité plus souple pour ainsi dire, puis quelques légers mouvemens hasardés par les têtes enfantines, des airs de curiosité candide et de naïf enjouement sur les visages des petites filles, un moment soustraites à la surveillance maternelle par l’éloignement même de la place qu’elles occupent. Il y a là, dans ce groupe ou plutôt dans ce bouquet de mines fraîches et souriantes, un charme indicible, un parfum d’innocence pénétrant, et nous ajouterons une pureté de dessin et de coloris dont, Van Eyck une fois excepté, nul parmi les maîtres flamands primitifs n’a mieux que Memling, deviné et pratiqué les secrets.

Memling ne possède, il est vrai, ni cette intraitable fermeté dans le sentiment, ni cette mâle fierté dans le style qui caractérisent la manière du chef de l’école. Sans parler même du Triomphe de l’Agneau, — merveilleux chef-d’œuvre qui se refuse à aucune comparaison, — on ne trouverait pas dans tout ce qu’il a peint un morceau aussi vigoureusement traité, aussi foncièrement savant que le portrait dit la Femme de Jean Van Eyck conservé au musée de l’académie de Bruges. En revanche, l’inspiration chez Memling est plus facile, le goût a plus d’élégance, la pratique plus de souplesse que chez les autres élèves ou imitateurs des deux Van Eyck et de Rogier Van der Weyden. Si le tableau que nous venons de mentionner ne suffisait pour démontrer cette vérité, l’autre tableau du maître exposé au palais des Champs-Elysées achèverait de la rendre manifeste. Ici encore Memling a représenté la Vierge, mais dans un cadre beaucoup plus restreint et entourée seulement de six jeunes saintes, au lieu des nombreux personnages, hommes ou femmes, qui l’environnent ailleurs. On n’a donc plus devant les yeux un portrait de famille varié seulement en raison de la diversité des types qu’il s’agissait de reproduire, mais une image tout idéale, une sorte de vision mystique analogue aux rêves formulés par le pinceau de Jean de Fiesole. Et cependant ce qui domine dans cette scène abstraite, c’est l’expression vraisemblable des choses, c’est l’imitation fidèle de la réalité. Rien de plus simple et de plus naturel, rien de plus gracieusement familier que ce groupe de jeunes filles assises sur le gazon d’une prairie aux côtés de la Vierge et de l’enfant Jésus. La sérénité, on dirait presque la bonne humeur dont chaque physionomie porte l’empreinte, les couleurs gaies et claires des vêtemens, l’aspect riant du paysage, tout contribue à donner à cette idylle chrétienne une signification non pas vulgaire assurément, mais appropriée aux plus douces coutumes de notre esprit et de nos yeux. Quant à l’exécution de ce charmant petit tableau, on n’en pressentirait la délicatesse qu’en se rappelant certaines œuvres du même genre et à peu près des mêmes dimensions que le maître a laissées a Bruges. Si l’un des