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argurmens les plus pressans de l’école qu’il combat, il se voit forcé d’admettre que le quatrième Évangile est écrit d’après un plan artificiel, et que l’auteur, n’ayant appris le grec qu’assez tard, s’est vu forcé d’admettre des collaborateurs (freie Beihülfe) qui firent pour lui l’œuvre de la rédaction, au point que leur intervention se trahit mainte fois dans le livre que nous avons sous les yeux ? N’est-ce pas avouer que ce livre n’a pas en fait l’apôtre Jean pour auteur direct ? Puis la réflexion, corroborée par la connaissance toujours plus détaillée du IIe siècle, est venue apprendre à plusieurs de ceux qui croyaient pouvoir maintenir l’authenticité commune de l’Apocalypse et du quatrième Évangile que, si en effet le même auteur a écrit les deux livres, on devrait au moins constater dans l’Évangile ce qu’on voit à chaque instant par exemple dans les épîtres de Paul, c’est-à-dire des traces de la révolution intérieure, profonde, nécessairement douloureuse, qui dut s’opérer dans l’âme du vieil apôtre, et que, sous ce rapport, l’état d’esprit du quatrième évangéliste est de la sérénité la plus parfaite. Et d’ailleurs n’y a-t-il pas une invraisemblance manifeste dans l’idée qu’un sexagénaire (et l’apôtre Jean devait certainement l’être en 68, date de l’Apocalypse) aille changer de croyances au point où cela serait exigé par l’hypothèse qui lui attribué la rédaction des deux livres ? Enfin à mesure que les théories de Tubingue ont passé par le creuset de la critique, et que par des concessions sagement faites soit par le chef, soit par ses élèves les plus distingués, elles se sont relâchées de leur première rigueur, ce qu’elles avaient de fondé, de vraiment inattaquable, est venu s’ajouter à ce qu’on peut appeler le capital consolidé de la critique indépendante. On s’accorde toujours plus à reconnaître que la vraie mine d’où il faut tirer les matériaux de l’histoire évangélique réelle, ce sont les synoptiques.

Ce point une fois admis, la solution à donner au problème n’est plus qu’une question de nuances. On peut par exemple, avec MM. Michel Nicolas et Renan, supposer que l’auteur du quatrième Évangile est ce « presbytre Jean, » homonyme de l’apôtre, et que de vieilles traditions font vivre également à Éphèse, — avec M. Tobler, l’attribuer à l’Alexandrin Apollos, contemporain de saint Paul (ce qui toutefois le fait remonter beaucoup trop haut), — avec M. Schenkel[1], se borner à maintenir l’idée d’une influence plus ou moins directe de l’apôtre sur la composition du livre, — avec M. Reuss, pester dans l’indécision sur le nom de l’auteur, mais ne se servir du livre que comme d’un exposé dogmatique et non comme d’une histoire. Toujours est-il qu’on ne peut plus logiquement, comme faisaient

  1. Professeur à Heidelberg et auteur d’une Vie de Jésus dont le retentissement a été fort grand