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nouvelles dans le sens de l’authenticité ? A vrai dire, j’en doute fort. Il ne faut pas oublier qu’aujourd’hui en ces matières, et c’est surtout à l’école de Tubingue qu’on le doit, la masse de petits faits amoncelés par l’érudition critique du passé s’organise de manière à présenter un tout historique, bien lié, organique, conforme en un mot à la logique immanente de l’esprit humain, et que la vue d’ensemble, due à la connaissance successive des détails, réagit à son tour sur le sens et la physionomie de chacun d’eux. Qu’on se représente une chaîne de montagnes boisées et s’entrecoupant dans toutes les directions. De loin, au premier abord, on ne distingue bien que les grandes lignes, et on ne les voit que d’un côté. On pénètre, on explore chaque éminence, chaque recoin l’un après l’autre, mais on perd la vue de l’ensemble, on se trompe sur les proportions, sur les distances, et, selon l’expression allemande, les arbres empêchent de voir la forêt. Cependant, lorsque cette exploration minutieuse est terminée et qu’on s’élève de manière à ressaisir la perspective générale, il en est tout autrement, et l’on peut se flatter de connaître exactement cet amas de montagnes, avec les grandes arêtes qui les commandent, les vallées qui les divisent et les contreforts, grands et petits, qui les relient à la plaine. C’est assez bien l’image de la critique moderne des premiers siècles de l’église. Les problèmes se simplifient en ce sens qu’on voit mieux où est le point central dont ils dépendent et par quelles connexions logiques ils se rattachent à des questions de même ordre. Ainsi la question du quatrième Évangile, dont l’authenticité ne peut se prouver par les anciens témoignages, se concentre tout entière sur le contenu même du livre. Si ce contenu est en effet plus idéal qu’historique, l’essentiel pour l’historien est de savoir quelle place il faut lui assigner dans le développement de la pensée chrétienne primitive. Fixons donc nos regards sur le contenu proprement dit du quatrième Évangile.

Nous n’avons rien dit jusqu’à présent des indications que ce livre lui-même pourrait nous fournir sur son origine. Le fait est que nulle part l’auteur ne dit positivement qu’il est l’apôtre Jean. Ce nom ne paraît pas une seule fois. L’apôtre Jean n’est désigné que par cette expression mystérieuse : « le disciple que Jésus aimait. » On pourrait même dire, en s’appuyant sur le verset 35 du livre XIX, que c’est évidemment un autre que lui qui a écrit le livre, car on parle de lui en cet endroit à la troisième personne, comme d’un autre. Cependant il est positif que tout le récit est ordinairement rédigé de manière à inspirer au lecteur l’idée que l’apôtre Jean est la source et le garant des choses racontées. Il semble que l’auteur réel ait aimé à s’identifier, tout en écrivant, avec le vieil apôtre d’Éphèse et à laisser entendre que si son Évangile contient nombre