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péniblement, sa tension et son action sont différentes ; les opérations cérébrales, comme les autres, dépendent de la rapidité et de l’aisance du courant dont, comme les autres, elles sont un flot. Par exemple un homme du nord absorbe et évapore deux du trois fois plus qu’un homme du midi, et par contre sa sensibilité, je veux dire la soudaineté et la véhémence de ses émotions, est deux ou trois fois moins grande. Comparez un paysan, un cheval de la Frise hollandaise à un paysan, à un cheval du Berri français, un Italien de la Lombardie à un Italien des Calabres, un Russe à un Arabe[1]. Nous ne savons pas encore les règles précises qui lient à l’air plus ou moins froid et humide l’alimentation, la respiration, la force musculaire, la capacité d’émotion, la génération des divers ordres d’idées ; mais il est manifeste qu’il y a de telles règles. Partout et forcément le climat, le tempérament physique et la structure morale se tiennent comme les trois anneaux successifs d’une chaîne ; quiconque dérange le premier dérange le second et par conséquent le troisième. Venise et la vallée du Pô sont les Pays-Bas de l’Italie ; c’est pourquoi le tempérament et le caractère s’y sont transformés dans le même sens qu’aux Pays-Bas. Comme en Flandre, on y trouve les carnations blanches et roses, les cheveux blonds et roux, les chairs abondantes, molles et un peu empâtées, qui font contraste avec les cheveux noirs, la maigreur active, le visage sculptural et noble, les muscles fermes des Italiens méridionaux. Comme en Flandre, on y trouve le goût passionné du plaisir sensible, la recherche exquise du bien-être, l’infériorité de l’esprit littéraire ou spéculatif, qui font contraste avec l’intelligence fine, raisonneuse, subtile, inclinée vers le purisme, qui circule dans tous les écrits et dans toute la vie des Florentins[2]. Dès les origines l’architecture si gaie et si peu classique, dès le XVe siècle le tour voluptueux des mœurs[3], plus tard la publicité du plaisir, le carnaval de six mois, les courtisanes enregistrées et innombrables, la musique devenue une institution de l’état, en tout temps la magnificence des costumes et des fêtes, les pompeuses dalmatiques bigarrées, les simarres de soie brochée, l’or et les diamans prodigués, le contact continu de la magnificence et de là fantaisie orientales, — la tolérance établie dans la religion et l’indifférence permise dans la politique, — la prospérité surabondante, la sage administration, la volupté encouragée, l’insouciance prescrite, tout annonce la même

  1. Mot de Wellington : « là où une armée française a le nécessaire, une armée espagnole est dans l’abondance, et une armée anglaise meurt de faim. »
  2. Les Florentins appelaient les Vénitiens grossolani.
  3. Antonello de Messine, dit Vasari, alla s’établir à Venise, où il porta la peinture à l’huile. Il choisit cette ville, il y fut très aimé et caressé des nobles, « étant une personne très adonnée aux plaisirs e tutta venerea. »