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avait préparés à semblable initiation. L’acharnement désespéré que la Porte, secondée par la complicité la plus inattendue, vient de mettre à raviver le mensonge dont elle cherche à couvrir depuis vingt-cinq ans la spoliation des libertés libanaises donne plus d’à-propos que jamais à un aperçu rétrospectif qui ne nous fait pas d’ailleurs sortir de notre sujet. Il faut se rendre bien compte de toute la gravité du mal pour comprendre et l’efficacité du remède employé et la robuste constitution du malade.


II

Même sous l’émir Béchir, à qui l’on doit tenir compte et de la barbarie de son éducation première et de l’état de fiévreux qui-vive auquel le condamnaient les pachas voisins, continuellement occupés à lui susciter quelque compétiteur pour faire tour à tour argent de leur alliance ou de leur neutralité, l’ordre ne s’était guère révélé aux masses que comme une application violente et continue de l’arbitraire. Au moindre symptôme d’indiscipline, l’impôt prenait la forme de razzia, la justice celle de guet-apens. Une répression également cruelle, également inexorable pour les crimes et les moindres délits, déshabituait la conscience publique de tout discernement légal. Les procédés sommaires par lesquels le vieil émir supprimait au besoin, corps et biens, toute influence réfractaire à l’œuvre de fusion et d’indépendance nationale ne venaient même que trop souvent confondre aux yeux des Libanais l’idée de châtiment avec celles de vengeance et d’extorsion. Si la sécurité était parfaite sur les chemins, si la plus stricte équité régissait les rapports des particuliers, l’une et l’autre cessaient vis-à-vis du gouvernement, presque également redouté des honnêtes gens et des coquins, entre lesquels s’établissait ainsi une démoralisante solidarité de défensive. Comme cependant l’arbitraire était ici non pas le principe, mais bien l’accident et l’expédient, il se détendait chaque jour par l’annulation successive des résistances qui l’avaient provoqué, et déjà ce violent travail d’organisation ne se manifestait plus que par ses bons résultats, quand la catastrophe de 1840 venait faire tomber presque sans transition le Liban du despotisme unitaire sous le despotisme de l’anarchie, car c’est à cela que se réduisait le régime des deux caïmacamies. Dépendant d’une part directement du pachalik de Beyrout, déshéritées d’autre part de toutes les attributions du pouvoir exécutif au profit d’une aristocratie d’autant plus portée à abuser de sa nouvelle position qu’elle y voyait le dédommagement d’un demi-siècle de contrainte, chacune des deux autorités centrales n’avait que l’alternative de devenir le prête-nom