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gouvernement de l’Inde doit éprouver en cette affaire ? Son armée y a essuyé des pertes considérables, tant par les maladies que par les combats ; la dépense s’élève à plus de 20 millions de francs déjà. Cependant on n’entrevoit pas la fin de la guerre. Les uns disent que la conduite la plus sage eût été de châtier rudement les Bhotanèses chaque fois qu’ils se permettaient quelque offense contre les sujets de l’empire britannique, mais de ne point prendre un pied définitif dans les Dooars, parce que c’est une province malsaine, et encore moins dans la montagne, où les postes militaires seront sans cesse en butte aux agressions des indigènes ; il est trop tard maintenant pour se ranger à cet avis, puisque l’annexion est un fait accompli. D’autres voudraient tout de suite conquérir le Bhotan tout entier ; mais pour cela il faudrait au moins s’avancer jusqu’aux villes les plus importantes, Paro, Poonakha, Tongso, qui ne sont pas à moins de 150 kilomètres dans l’intérieur. L’armée anglaise arriverait-elle jusque-là sans y perdre plus d’hommes que ne vaut la conquête ? Il est permis d’en douter, à voir combien les colonnes qui guerroient depuis dix-huit mois sur la frontière sont mal équipées pour la guerre de montagnes. Cette longue suite de coulies et d’éléphans qui accompagne une armée active, qui transporte ses bagages, ses munitions, ses approvisionnemens, se développe à l’aise dans une plaine, mais ne se meut pas au milieu des défilés avec autant de facilité. On fait valoir à bon droit en faveur d’une annexion complète que la contrée montagneuse qu’il s’agit d’occuper serait sur une grande échelle ce que Darjeeling a été depuis trente ans, c’est-à-dire un lieu de refuge à climat tempéré où les troupes européennes iraient retremper leurs forces après avoir été épuisées par les chaleurs de l’Hindoustan. Ce serait aussi une route ouverte vers le Thibet, un moyen d’entrer en communication avec les contrées presque inconnues qui s’étendent par-delà la chaîne de l’Himalaya. De l’autre côté de ces montagnes se trouve en effet un pays nouveau, qui a été jusqu’à ce jour fermé aux Anglais. On y rencontre des populations paisibles chez lesquelles le commerce britannique trouvera de nouveaux débouchés. C’est la Chine que l’on prend à revers, et le Bhotan est de ce côté la porte d’entrée dans l’intérieur de l’Asie. Le gouvernement de l’Inde a déjà eu occasion d’envisager la question sous cette face, car, dans le traité qu’il a conclu avec le rajah de Sikim en 1861, il s’est assuré le concours de ce souverain au cas où une route pourrait être ouverte dans ses états entre Darjeeling et Lassa ; mais, dans le royaume de Sikim, l’Himalaya atteint ses plus hautes altitudes : les cols sont élevés et peu praticables, tandis qu’à l’est du Bhotan les montagnes s’abaissent et les communications deviennent plus faciles. Si donc le Bhotan est une