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de rations, de cadeaux, de taxes arbitraires, de réquisitions de toute nature.

En outre l’impôt officiel de trois mille cinq cents bourses, qui, ayant à la fois pour base la propriété foncière et le revenu personnel, aurait dû principalement peser sur la classe riche, n’atteignait en réalité que la classe pauvre. Ceux des cheiks à qui, soit à titre personnel, soit à titre héréditaire, la perception en était dévolue commençaient par s’exempter complètement. Les notables qui formaient chaque comité local de répartition trouvaient, de leur côté, plus commode et plus sûr de les imiter que de protester ; puis cheiks et notables étendaient en tout ou en partie l’exemption non-seulement à leurs parens et amis, mais encore à ceux des contribuables influens qui auraient pu être tentés de remuer le gros de la population contre ces abus. Comme cependant il fallait que le montant de l’impôt fût complété à époques fixes, c’est sur le reste de la population qu’en retombait tout le poids. A peu près triplées par les éliminations dont il s’agit, les petites cotes étaient grevées d’au moins autant par l’usure : le fellah qui n’était pas en mesure de s’acquitter n’avait que la ressource de composer avec le cheik ou ses agens en s’engageant à leur livrer après la récolte tant de mesures d’orge, tant d’onces de cocons, estimées toujours à cinquante pour cent au-dessous de la valeur courante et soumises, qui pis est, lors de la livraison, à de fausses mesures ou à de faux poids. Ce n’est pas tout encore : dans la caïmacamie druse, cet impôt triplé, sextuplé, était exigé trois ou quatre fois pour une[1]. Ces monstruosités pouvaient se commettre d’autant plus librement qu’elles n’étaient pas même dénoncées. Les fellahs étaient bâillonnés par la crainte et les notables par l’intérêt. Quant aux ouékils ou soi-disant procureurs fondés donnés aux différentes communions chrétiennes auprès des seigneurs druses, il suffira de dire qu’ils étaient nommés et appointés par ceux-ci. Sur quoi d’ailleurs établir une base juridique de réclamations ? Il n’y avait ici ni statistique de la population, ni cadastre de la propriété, ni états généraux ou locaux de recettes qui permissent de vérifier jusqu’à quel point les cotes individuelles étaient exagérées, l’égalité violée, le contingent total dépassé. Pas même de registres à souche : la perception ne laissait d’autre trace que des myriades de quittances de formes, de teneur, d’écritures différentes, qu’il aurait fallu aller recueillir une à.une par les maisons, et où il n’aurait pas été facile de distinguer la part des arriérés de celle de l’impôt courant, de celle des

  1. Rapport de la commission internationale sur la réorganisation du Liban. Beyrout, 31 mars 1861