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sur certains points de droit, ont des notions opposées[1], et l’on s’expliquera certaines sentences mémorables revenant, par exemple, à dire que les prétentions de l’intimé Botros pouvaient être considérées comme fondées,… à moins toutefois qu’on ne jugeât encore mieux fondées celles de son adversaire Abdallah. — Cela signifiait tout simplement qu’Abdallah et Botros appartenaient à des communautés différentes. Dans les procès correctionnels ou criminels, où le fait domine les questions d’interprétation, il fallait une évidence palpable, écrasante, pour que les hardiesses de l’affirmation s’élevassent jusqu’à des formules comme celle-ci : « le tribunal est porté à croire, qu’il n’est pas improbable que les faits à la charge d’un tel puissent être considérés comme suffisamment établis. » Fureur de Davoud-Pacha, qui mandait en sa présence la cour entière, faisait séance tenante, recommencer la délibération, mettait un à un les juges au pied du mur, s’armait contre tous des concessions individuelles de chacun et en déduisait la sentence à rendre. Les juges s’en retournaient l’échine basse et avec l’apparente componction de gens à qui l’on vient de forcer la main, mais en souriant dans leur barbe d’une violence qui les dégageait de toute responsabilité les uns vis-à-vis des autres. Ce terrible esprit de communauté qui, abandonné aux impulsions du règlement, devait aboutir à la plus complète anarchie judiciaire se transformait ainsi en une tacite coalition de discipline et d’impartialité. Davoud-Pacha ne tarda pas d’ailleurs à donner une forme plus régulière à son immixtion en instituant auprès du grand medjlis un commissaire chargé de faire l’instruction préparatoire de chaque procès de façon à donner une base précise au débat, de discuter au besoin, séance tenante, l’opinion de chaque juge, d’intervenir dans les interrogatoires quand les questions étaient éludées ou mal posées, enfin d’informer le gouvernement de toute irrégularité contraire à l’intérêt soit de la loi, soit des accusés, prévenus ou parties.

Ce minutieux système de pression dont, la question politique une fois écartée, personne n’eût osé se plaindre tout haut, puisqu’il n’atteignait que l’inexpérience et les lenteurs inutiles ou intéressées des juges en respectant rigoureusement leur conscience et leurs attributions, ne s ! arrêtait qu’après le prononcé du jugement. Étendant jusqu’aux procès civils le principe adopté dans plusieurs pays d’Europe pour les procès criminels, le gouverneur avait ordonné que, la délibération une fois ouverte, le medjlis ne pourrait lever la séance qu’après avoir rendu sa décision. Il y eut bien cette fois quelques murmures ; mais, si chaque juge répugnait à se prononcer, chacun répugnait pour le moins autant à découcher. Les ménagemens

  1. Le président n’avait que sa propre voix comme les autres juges. Il n’était lui-même qu’un des douze juges, investis à tour de rôle et pour trois mois de ces fonctions.