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l’Autriche prend des airs de pudeur, de regret et presque de remords, et la connivence des deux cours est bientôt suivie d’une brouillerie dont l’Autriche par prudence paie souvent les frais. C’est ce qui arriva lors du premier partage de la Pologne et ce qu’on vit encore en 1778, à la mort de l’électeur de Bavière. Les souvenirs du règne de Louis XVI et de Marie-Antoinette sont aujourd’hui à la mode ; il y eut dans les premières années de ce règne, comme en ce moment, une question prussienne, laquelle donna lieu à un des épisodes les plus piquans de cette curieuse correspondance de Marie-Thérèse et de Marie-Antoinette que M. d’Arneth a publiée. On se disputait comme aujourd’hui pour des prétentions territoriales, on avait commencé par se concerter dans l’intimité et le secret. L’empereur Joseph II et Frédéric avaient échangé une correspondance délicate. Quand Frédéric crut avoir compromis l’empereur, il se brouilla avec lui, combattit ses prétentions, et, pour exciter les défiances de la France, envoya les lettres de Joseph à la cour de Versailles. La comédie est curieuse, racontée par la grande Marie-Thérèse et la jeune et espiègle Antoinette. Vienne et Berlin faisaient également leur cour à Versailles ; le ministre de Prusse en France s’appelait alors, comme l’ambassadeur d’aujourd’hui, M. de Goltz ; l’Autriche, outre le comte de Mercy, avait le plus séduisant des avocats dans la personne de la reine. La correspondance de la cour de Vienne avec les têtes couronnées doit parler en ce moment de M. de Bismark dans le langage qu’employait Marie-Thérèse pour qualifier les perfidies de Frédéric. Marie-Thérèse s’effrayait des démarches du roi de Prusse auprès de la France. « Il y a longtemps, écrivait-elle à sa fille, que nous voyons un patelinage politique, beaucoup de secret, des complaisances réciproques ; la conduite dans cette occasion a malheureusement dû augmenter ces doutes. Le roi se vante de temps en temps d’être bien avec vos ministres, il prétend même leur avoir communiqué la correspondance secrète entre l’empereur et lui ; c’est encore un trait de sa façon… Nous n’aurions jamais été les premiers à faire usage d’un secret convenu entre deux princes… Aucun prince en Europe n’a échappé à ses perfidies ; c’est celui qui veut s’ériger en protecteur et dictateur de l’Allemagne, et tous les grands princes ne tiennent pas ensemble pour empêcher un malheur pareil un peu plus tôt ou un peu plus tard sur tous ! Depuis trente-sept ans, il fait le malheur de l’Europe par son despotisme, violences, etc. En bannissant tous les principes de droiture et vérité reconnus, il se joue de tout traité et alliance. Nous qui sommes les plus exposés, on nous laisse. Nous nous tirerons peut-être encore d’affaire cette fois-ci tant bien que mal ; mais je ne parle pas pour l’Autriche, c’est la cause de tous les princes. L’avenir n’est pas riant. Je ne vivrai plus, mais mes chers enfans, notre sainte religion, nos bons peuples ne s’en ressentiront que trop. Nous nous ressentons déjà d’un despotisme qui n’agit que selon ses convenances, sans principe et avec force. Si on lui laisse gagner du terrain, quelles