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lointaines par le cours des grands fleuves ? Non : la trichine ne peut être transportée qu’avec son hôte, qui généralement n’est pas migrateur, ou bien avec la viande, qui généralement se débite dans une localité fort restreinte. Ces considérations suffiront à faire comprendre que nous n’avons point lieu, en France, de nous effrayer de ce mal nouveau, car la trichine n’existe pas chez nous, et nous ne pouvons la recevoir comme le choléra ou la peste.

La maladie trichinaire s’est révélée tout à coup en Allemagne ; pourquoi, dira-t-on, n’en serait-il pas de même en France ? La raison en est que la trichine est connue en Allemagne depuis longtemps (le kyste qui la renferme a été observé dès 1822), qu’on la trouve fréquemment dans les cadavres livrés aux études anatomiques, tandis qu’à Paris, où ces études ne sont pas moins suivies, elle n’a jamais été observée d’une manière certaine. D’un autre côté, on savait depuis longtemps en Allemagne que l’usage de la viande de porc produit quelquefois de graves désordres, dont la cause, attribuée à quelque substance toxique qui s’y serait formée, était évidemment la trichine. On ne connaissait en France rien de semblable.

A la rareté de la trichine viennent s’ajouter chez nous des habitudes culinaires qui diffèrent de celles des Allemands. La viande de porc crue n’est point d’usage dans le peuple, et la cuisson telle qu’elle se pratique habituellement, quoi qu’on en ait dit, tue la trichine. Ajoutons que cette larve périt naturellement après six semaines ou deux mois de conservation et que cette terminaison naturelle est hâtée dans la viande salée ou dans celle qui est fumée par les procédés ordinaires.

Il est possible, par des soins très simples, de faire disparaître la trichine des contrées où elle existe. Il suffirait de faire enterrer soigneusement tous les cadavres ou toutes les viandes qui peuvent communiquer ce ver au porc et aux petits animaux qui le prennent. Les éleveurs y veilleraient, s’ils étaient condamnés à restituer le prix de vente de leurs animaux malades. A Paris, par les progrès seuls de l’hygiène, un résultat analogue a été atteint pour un autre ver. Au siècle dernier, des épidémies de vers lombrics apparaissaient très-fréquemment, compliquant et augmentant la gravité des maladies ; ces épidémies étaient encore fréquentes au commencement de notre siècle, mais elles devinrent de plus en plus rares et disparurent tout à fait vers 1825 ou 1830. C’est que vers cette époque l’usage des filtres s’était introduit dans tous les ménages, et qu’un filtre empêche le transport des œufs du lombric dans nos boissons. Le résultat obtenu pour l’un de nos parasites par de simples soins hygiéniques, ne pourrait-on l’obtenir pour un parasite bien plus dangereux, lorsque les moyens de préservation sont connus, et lorsque l’intérêt public et l’intérêt particulier le demandent également ?


Dr DAVAINE.

V. DE MARS.