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rectiligne. — Plus loin, le Christ et ses apôtres en marbre colorié, des fresques du XIVe siècle, un saint George avec son bouclier armorié, une Madeleine vêtue de ses cheveux, se rangent le long des murailles, quelques-uns grêles et grotesques comme des poupées de bois, d’autres graves, enveloppés de grandes robes plissées, avec une austérité et une élévation hiératiques. Que le progrès est lent, et que de siècles il faut à l’homme pour comprendre la figure humaine !

L’architecture, plus simple, est plus précoce. Elle se contente de quelques lignes courbes ou droites, de quelques plans symétriques et bien tranchés ; elle n’exige pas, comme la sculpture, l’intelligence des rondeurs fuyantes et de l’ovale le plus compliqué et le plus bosselé. Des âmes incultes, réduites à quelques sentimens forts, peuvent être remuées et se manifester par elle ; peut-être est-elle leur expression propre. En effet c’est dans les âges demi-barbares, au temps de Philippe-Auguste et d’Hérodote, qu’elle a trouvé ses formes originales, et la civilisation complète, au lieu de la soutenir et de la développer comme les autres arts, l’a plutôt appauvrie ou gâtée. Au dedans comme au dehors, San-Zenone est d’un grand caractère, austère et simple ; on y sent une basilique romaine qui se fait chrétienne. La nef centrale s’appuie sur des colonnes rondes dont les chapiteaux barbares, enveloppés de feuillages, de lions, de chiens et de serpens, soutiennent une ligne d’arcades circulaires ; et sur ces arcades s’élève un grand mur nu qui porte la voûte. Jusqu’ici, la structure est latine ; mais la nef, par sa hauteur extrême, laisse dans l’âme une émotion religieuse. Son plafond bizarre est une triple gouttière treillissée de bois sombre, marquetée de petits carrés, étoilée de blanc et d’or, qui allonge ses creux superposés avec une fantaisie inattendue et sauvage. Au-dessous d’elle, le pavé, plus bas, rejoint le portail et le chœur par de hauts escaliers munis de balustres, et les différences de niveau brisent et compliquent l’aspect de toutes les lignes. La capricieuse imagination du moyen âge commence à s’introduire dans l’ordonnance régulière de l’architecture ancienne pour y troubler les plans, multiplier les formes et transformer les effets.


Les Scaliger, la Piazza, le musée.

La même imagination règne, mais cette fois souveraine et complète, dans une enceinte grillée située près de Santa-Maria-l’Antica, et qui est le plus curieux monument de Vérone. Là sont les tombeaux des anciens souverains de la ville, les Scaliger, qui, tour à tour ou à la fois tyrans et guerriers, politiques et lettrés, assassins et proscrits, grands hommes et fratricides, ont donné, comme les princes de Ferrare, de Milan, de Padoue, un exemple de ce