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que, dès le commencement de 1864, peu de mois après sa promenade triomphale dans le Kesraouan, Davoud-Pacba en était aux petits soins avec l’autorité turque en même temps que, sans motifs apparens, il affectait de prendre vis-à-vis des Kesraouanais une attitude de défiance et de menace. Les soldats turcs, dont on espérait n’entendre plus parler, se concentraient graduellement sur la frontière maronite, et un beau jour la franchissaient pour s’installer à Sarba, où ils ne remplirent que trop bien leur rôle d’agens provocateurs en marquant bientôt leur présence par l’assassinat d’une femme et de ses enfans. La milice indigène tombait en défaveur visible, avouée, quand justement les résultats obtenus par l’instructeur français mettaient si bien en évidence l’admirable aptitude des divers élémens libanais à se discipliner et à se fusionner dans un milieu franchement national, quand les demandes d’enrôlement, dont la rareté avait jusque-là servi de prétexte aux lenteurs de l’organisation, affluaient déjà de toutes parts. Peu après il n’était question de rien moins que de supprimer cette milice « comme impuissante et dangereuse, » ou, au pis aller, de la réduire à l’humble rôle de police municipale pour la remplacer par ces bachi-bozouks chrétiens que la désertion surtout jette sous les drapeaux du sultan, et qui, Arnautes, Cosaques ou Bulgares, inspirent aux populations chrétiennes plus de répulsion et de terreur que les troupes turques proprement dites. La visible déconvenue causée à Davoud-Pacha par le démenti fortuit que lui donnaient sur ces entrefaites les soldats libanais en faisant leurs premières preuves contre les émirs brigands de l’extrême nord[1], son empressement comique, s’il n’eût été injurieux, à envoyer un détachement turc recueillir le profit et l’honneur d’un succès qui n’avait coûté que du sang indigène, et qui venait si mal à propos démontrer que la condition mise par le règlement au départ des troupes ottomanes se trouvait décidément remplie, étaient la confirmation plutôt que l’explication de quelque subit et mystérieux parti-pris, quand enfin l’évasion autorisée de Caram vint donner le mot de l’énigme.

Youssef Caram, qu’on a surfait, mais que nous ne voudrions pas être accusé de déprécier, car s’il n’est pas le plus intelligent des patriotes libanais, il en est certainement le plus dévoué et le plus

  1. C’est une famille d’émirs musulmans. Le très petit détachement de milice indigène qui avait été envoyé contre eux se laissa attirer dans un coupe-gorge, et, malgré le désavantage de la position et du nombre, en sortit avec beaucoup d’honneur. Davoud-Pacha, qui ne pouvait s’empêcher de faire décorer le chef de ce détachement, le jeune émir Mahmoud Chéab, eut soin de faire décorer en même temps le commandant turc a qui, trois ou quatre jours plus tard, avait été confiée la pacifique et lucrative mission d’aller recueillir le butin abandonné par l’ennemi.