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I. — L’ALBANIE AVANT LA CONQUÊTE TURQUE.

La langue dans laquelle ont été composés les chants populaires des Albanais a été longtemps un sujet de graves débats pour les philologues. Plusieurs s’obstinaient, ainsi que le fait Pouqueville, à chercher dans une Albanie caucasienne le point de départ des Chkipetars. Leibnitz supposait que la langue des Albanais devait être celle des anciens Celtes. Les Albano-Italiens qui, comme Mgr Crispi, évêque de Lampsaque, et M. Angelo Masci, ont réfuté ces hypothèses dans de solides travaux[1] n’étaient pas assez au courant des admirables découvertes philologiques de l’Allemagne pour éviter dans leurs démonstrations de regrettables erreurs de détail. Il appartenait à M. G. de Hahn, le docte auteur des Études albanaises[2], de répandre sur cette question un jour nouveau, et à un Albanais sicilien, le père Camarda, de l’éclaircir définitivement.

Les Albanais sont pour M. de Hahn les descendans des célèbres Pélasges. Les Pélasges auraient peuplé aux époques primitives l’Epire, la Macédoine, l’Illyrie, la Grèce (Hellade et Péloponèse) et des territoires italiens considérables. En Grèce, les Pélasges auraient adopté la langue des Hellènes, lorsque l’élément hellénique vint se superposer à l’élément pélasgique, tandis que l’idiome aborigène aurait duré jusqu’à l’invasion bulgare en Macédoine et jusqu’à l’invasion serbe en Illyrie. Dans l’Albanie (Illyrie méridionale et Épire), l’élément pélasgique a repoussé ou s’est assimilé l’élément slave, et de ce pays trop peu étudié sont sorties depuis le XIVe siècle les colonies épirotes de la Grèce moderne. Ainsi s’est répétée en sens inverse l’invasion des premiers âges, avec cette différence que les Pélasges autochthones s’étaient fondus dans les Hellènes envahissans et qu’aujourd’hui les nouveaux Pélasges établis en Grèce vont s’hellénisant de plus en plus. Selon l’auteur des Études albanaises, il y aurait maintenant des Albanais dans toutes les provinces helléniques, soit de la Grèce continentale, soit de la péninsule péloponésienne, excepté l’Etolie, l’Acarnanie, la Laconie et la Messénie. Dans l’Attique, la Mégaride, l’Argolide, la Béotie, ils constitueraient la grande majorité de la population. Enfin les îles d’Hydra, de Spetzia, de Poros et de Salamine, l’Eubée méridionale et la partie septentrionale de l’île d’Andros seraient habitées exclusivement par des Albanais. Du reste, si M. de Hahn pense que les Pélasges et les Hellènes de l’antiquité étaient des peuples

  1. Memoria sulla lingua albanese, etc., dans Opuscoli di litteratura di monsignor Crispi, Palermo, 1836.
  2. M. le professeur Comparetti, dans un écrit lumineux et substantiel (Notizie e osservazioni in proposito degli studi critici del prof. Ascoli), appelle avec raison M. de Hahn » le plus grand albanologue des temps modernes. »