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racheter sa crédulité passée, le rendaient à cet égard doublement ombrageux. Le patriarche dut avouer son impuissance à le rallier, — sur quoi les amis de Davoud-Pacha de dire et les ennemis de Caram de répéter que celui-ci rompait avec le chef spirituel de sa « nation, » qu’il sacrifiait à de mesquines animosités personnelles un patronage auquel il avait dû jusque-là toute son importance. Caram ne représentait plus que Caram ; Caram était politiquement mort. — En un mot, Davoud-Pacha avait réussi du même coup à lui faire déclarer son hostilité et à le diminuer dans l’opinion des masses, à l’affaiblir tout en l’engageant.

Le seul sincère des trois était le patriarche, qui avait pris bien réellement au sérieux sa mission de médiateur ; il partageait au fond les défiances de Caram, mais justement parce qu’il ne se faisait pas d’illusions sur les nouvelles tendances de Davoud-Pacha, il aurait voulu lui enlever toute raison d’appeler sur le pays l’invasion turque. Le prélat n’obéissait pas uniquement en ceci à des scrupules de religion et d’humanité. C’est notre diplomatie qui, — sous l’impression des services rendus pendant près de trois ans par Davoud-Pacha à la politique d’unité et d’autonomie libanaises, — dans l’ignorance, d’ailleurs assez peu explicable, du revirement qui venait de s’opérer chez lui sur la question si vitale de la milice, — avait le plus chaleureusement insisté, dans la récente conférence de Constantinople, pour qu’il fût maintenu à son poste avec un mandat plus long, des ressources et des pouvoirs beaucoup plus étendus. Céder du jour au lendemain, et quand cette illusion n’avait pu se dissiper, aux provocations turques, c’était s’insurger contre l’œuvre officielle de la France ; c’était autoriser la cruelle mystification de soldats turcs venant défendre l’idée française ; c’était fournir aux élémens hostiles ou indifférens de la conférence de Constantinople l’occasion de dire qu’en se révoltant contre l’arbitrage des cinq puissances, la montagne s’enlevait pour l’avenir tout droit à l’invoquer ; c’était la mettre militairement et diplomatiquement à la discrétion des Turcs. L’adhésion de Caram au présent régime n’en aurait assurément pas fini avec cette nouvelle intrigue, qui n’était qu’une des mille formes du plan traditionnel des Turcs ; mais elle l’eût au moins désarmée de tout prétexte immédiat.

S’il n’obtint pas du jeune chef ce sacrifice de son individualité politique à l’intérêt national du moment, le patriarche amena cependant une transaction qui, sans rien terminer, ajournait tout. En échange d’une espèce de lettre de grâce par laquelle Davoud-Pacha le relevait d’exil, Youssef Caram prit l’engagement écrit de rester en repos. On ne continua pas moins de part et d’autre à se garder militairement ; mais hâtons-nous de constater que Caram ne guettait nullement l’occasion de se délier de sa promesse. Lors