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par le Christ dans une réponse célèbre aux pharisiens. En 1816, un capitaine de la marine marchande revenait de la Mer-Noire à Spetzia. Ayant entendu dire vaguement que sa belle-fille avait reçu un de ses parens pendant l’absence de son fils, il égorgea cette femme enceinte de six mois avec sa petite fille âgée de quatre ans. Un an auparavant, sur des bruits non moins incertains, des frères avaient tranché la tête de leur sœur sur la promenade publique sans que personne fît la moindre tentative pour l’arracher à ces furieux.

De pareils traits prouvent que l’Albanaise serait trop heureuse, si elle ne relevait que de l’autorité d’un époux. Comme insensiblement les sentimens se conforment aux habitudes, elle finit par voir dans un beau-frère un personnage presque aussi important que son mari. C’est ainsi que s’explique la catastrophe rapportée par un chant albanais, catastrophe fort difficile à comprendre dans les idées occidentales. Selicha s’en retourne de la fontaine au village, portant sa cruche d’eau sur l’épaulé. Elle entend dans le lointain les hurlemens qu’on pousse à la mort d’un Chkipetar. Elle en demande la cause à des femmes qu’elle rencontre, et lorsqu’elle apprend la mort de son beau-frère, l’honneur de la famille, sans montrer la moindre hésitation, elle se jette avec sa cruche dans l’abîme qui s’étend le long du chemin.

M. Angelo Masci, dans un travail publié en 1847, comparait les mœurs albanaises à celles des anciens Germains. Sans doute les peuples qui sont au même degré de civilisation se ressemblent en bien des choses ; mais ici le fond même diffère, les nations germaniques ayant visiblement d’autres tendances que les populations pélasgiques. Cependant, Germains et Pélasges appartenant à la race indo-européenne, on ne doit pas s’étonner de trouver chez eux certaines idées communes. Ainsi, par une de ces contradictions singulières qui frappent dans la Germania de Tacite et dans les mœurs de l’ancienne Gaule, la femme est traitée en Albanie comme une bête de somme, et pourtant elle est honorée. Elle peut, comme si elle était en Angleterre ou aux États-Unis, parcourir librement les gorges les plus sauvages sans courir jamais le risque d’être insultée, et sa protection est un bouclier plus solide qu’un bataillon entier. Elle joue un rôle aussi important dans la conclusion des traités que dans la guerre. Sans doute elle reprend au foyer domestique les fonctions de la plus humble des servantes, mais la poésie, en rendant hommage à son ardeur pour le travail, fait deviner qu’elle se transformerait aisément en maîtresse de maison. En effet, ces clés qui pendent à sa ceinture sont, comme les pistolets et le yatagan du pallicare, un symbole d’autorité. Pour peindre son activité infatigable, on la compare gracieusement à l’esprit familier qui est dans la muraille et qui protège la famille. Elle a le nom de femme,