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Les fiers montagnards de la Mirdita ont pu, grâce à l’hérédité du pouvoir dans une dynastie vraiment populaire, la « race de Gion Marcu » (déra é Gion Marcu), échapper à l’anarchie, qui est la plaie de l’Albanie, et des actes récens prouvent que la Ffance, comprenant l’importance du rôle qu’ils peuvent jouer en Albanie, les protégerait au besoin contre les tentatives despotiques des pachas de Scodra. Les derniers écrivains français qui se sont occupés des Albanais se sont du reste chargés eux-mêmes de recommander à la sollicitude de leur gouvernement ce million de gens de cœur[1], dont l’histoire fournit des « preuves éclatantes d’énergie, d’intelligence et d’activité, » qui a conservé « les traditions et les usages chevaleresques » qu’on trouve chez les héros des chansons de geste, qui a toujours « fourni des individualités brillantes à la Grèce ancienne, à l’empire byzantin, enfin à la Turquie et à la Grèce moderne. » Les Français ont parfaitement compris que ces hommes d’une nature à la fois implacable et aimante, soldats impétueux et rudes, mais susceptibles de dévouement et habitués à mépriser la mort, seraient capables des plus grandes choses, s’il surgissait du milieu de leurs clans un chef assez fort pour imposer silence aux factions et pour conduire ses frères à la victoire. L’histoire des Albanais établis dans l’ancien royaume des Deux-Siciles va nous attester une fois de plus la vitalité qui anime cette nation.


III. — LES ALBANAIS EN EXIL.

Il semblerait que les Albanais fixés depuis si longtemps de l’autre côté de l’Adriatique n’aient dû garder qu’un vague souvenir des exploits du héros de Croïa. Pourtant il n’en est rien, et les boutades ordinaires sur l’ingratitude des peuples ne sauraient s’appliquer à eux. Si la domination étrangère ne permet pas d’élever un monument au grand Castriote dans son pays natal, si la Pelousia, que les Slaves ont si bien nommée « forteresse sainte » (svetigrad), n’est plus qu’une ruine, le nom du héros continuera d’être béni et sa mémoire exaltée tant qu’un cœur albanais battra dans les deux péninsules sœurs.

Dans les banquets des Albanais de l’Italie méridionale, la poésie populaire chante non-seulement « le pain et le vin, » mais les festins de Scander-Beg, qui « mangeait la chair des chapons et des lièvres, ainsi que la tête des perdrix, » qui « avait des coupes et des fourchettes d’or et des nappes de soie. » Grands amateurs de la chasse, tandis que les autres peuples de la péninsule orientale n’ont

  1. Les calculs de M. Hecquard sur les Guègues porteraient à plus d’un million (1 million 300,000 environ) le chiffre des Albanais. M. Boue et d’autres donnent des chiffres plus élevés.