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« CONSTANTIN. — Garentina, ma sœur, — viens telle que tu es maintenant.

« Il la prit en croupe sur son cheval. — Le silence de la longue route, — Garentina le rompit ainsi :

« GARENTINA. — Constantin, mon frère, — je te vois un mauvais signe, tes épaules et tes bras moisissent !

« CONSTANTIN. — J’ai été dans la fumée des fusils.

« GARENTINA. — Constantin, mon frère, — je te vois un mauvais signe, — la crinière de ton cheval est mêlée, — salie, souillée de poussière !

« CONSTANTIN. — Mon coursier s’est abattu — et m’a couvert tout entier de poussière. (On arrive au pays. )

« GARENTINA. — Constantin, mon frère, — je vois un mauvais signe… Mes neuf neveux, où sont-ils ?

« CONSTANTIN. — Ils sont à jouer au disque. — Personne ne savait notre arrivée. — Remarque que l’heure approche du soir.

« GARENTINA. — Mes neuf belles-sœurs, où sont-elles ? — Pourquoi ne viennent-elles pas au-devant de nous ?

« CONSTANTIN. — Elles sont à la danse.

« GARENTINA. — Et mes neuf frères, où sont-ils ?

« CONSTANTIN. — Ils sont au conseil.

« GARENTINA. — Constantin, mon frère, — je vois un mauvais signe, — les fenêtres fermées.

« CONSTANTIN. — Le vent du printemps les a fermées, (Ils arrivent devant l’église.)

« CONSTANTIN. — Garentina, ma sœur, — va en avant, — pour un moment j’entre à l’église.

« Et il retourne parmi les morts… — Garentina s’avance et monte, — elle frappe à la porte en faisant toup-toup.

« GARENTINA. — Ma mère, viens m’ouvrir ; — je suis Garentina, — et Constantin m’a amenée.

« LA MERE. — Va au diable, Mort cruelle, — qui m’as pris mes neuf fils ; — tu m’as pris aussi ma fille, — et tu veux maintenant me prendre.

« GARENTINA. — Oh ! je te donne ma parole, mère, — que je suis Garentina.

« La mère se précipite et ouvre.

« LA MERE. — Ma fille, qui t’a amenée ?

« GARENTINA. — Constantin est venu et m’a amenée.

« LA MERE. — Constantin ! Et où est-il allé ?

« GARENTINA. — Il est venu et est entré dans l’église.

« LA MERE. — Constantin, ah ! ma fille, — Constantin est devenu poussière.

« En pleurant, en s’embrassant, — la mère et la fille se serrèrent l’une contre l’autre, — et leur terreur et leur chagrin furent si grands — que moururent la fille et la mère[1]. »

  1. On a pu entrevoir ici le germe de la célèbre ballade de Lénore, et on prétend en effet que Bürger avait emprunté l’idée de cette ballade aux Slaves, chez lesquels, elle existait également. On retrouve le même récit chez les Hellènes, comme le prouve le poème traduit par M. de Marcellus sous ce titre : le Voyage nocturne. Du reste, certaines légendes également significatives existent dans toute la péninsule orientale.