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On sait avec quelle peine les Bonchamp et les-Lescure résistaient au fanatisme vendéen. Redoutant les dispositions de ses propres soldats, Ruffo donna à la cour des conseils de modération : , exprimés avec tant d’énergie que le favori Acton lui fit donner l’ordre de ne point occuper Naples avant l’arrivée de Nelson. Loin d’obéir à un ordre dont il connaissait trop bien les motifs, il s’empressa d’accorder aux vaincus des conditions telles qu’elles mettaient les Italiens et les Français complètement à l’abri des représailles. Non-seulement il irritait les personnages qui gouvernaient sa majesté sicilienne, mais il mécontentait tous ses auxiliaires, Anglais, Russes et Turcs, qui ne pouvaient parvenir à comprendre les ménagemens dont il usait avec des « jacobins. » Les hommes qui avaient le plus d’influence sur les résolutions du roi furent exaspérés. Acton, dont l’impitoyable reine Caroline partageait la manière de voir, alla jusqu’à insinuer que Ruffo était infecté de jacobinisme. Nelson, furieux, s’empressa d’accourir avec un décret de Ferdinand qui déclarait que « les rois ne traitent pas avec leurs sujets, » que le cardinal avait dépassé ses pouvoirs, et que le roi des Deux-Siciles entendait exercer sur les rebelles « la plénitude de son autorité. » Ruffo demanda en vain que l’amiral suspendit l’exécution du fatal décret ; l’entêtement implacable de l’Anglais devait à la fin l’emporter. Sans doute le cardinal aurait dû rompre avec un gouvernement qui lui faisait un pareil affront ; mais s’il manifesta dans cette circonstance une hésitation que l’histoire a le droit de lui reprocher, son attachement à la dynastie ne survécût pas à cette crise décisive. Lorsque, malgré ses avis, la cour eut de nouveau (1805) essayé de lutter contre la France, il se résigna si bien à la révolution qui appela au trône une famille française que Napoléon, à l’époque du mariage de Marie-Louise, lui donna le grand cordon de la Légion d’honneur. Aussi Pie VII l’accueillit-il assez mal lorsque les papes furent rétablis dans leurs états. A Naples, où Ruffo retourna plus tard, il ne fut pas vu de meilleur œil. Il passa les dernières années de sa vie en homme dégoûté des rêves de l’ambition, occupé avec son activité ordinaire d’améliorations agricoles. Tout porte à croire que les Albanais, dont, grâce à sa bravoure, il était devenu l’idole, partagèrent son légitime ressentiment et se montrèrent fort irrités de sa disgrâce. Il est certain qu’ils conformèrent leur conduite à la sienne. Lorsque les Français menacèrent de nouveau la dynastie, on les vit en général imiter sa réserve ; le cardinal refusa d’appeler une seconde fois les paysans et les montagnards à l’insurrection, et les Albanais ne montrèrent aucun enthousiasme pour la cause des Bourbons. Ils savaient que leur culte n’avait rien à craindre de Napoléon, et ils ne tardèrent pas à s’apercevoir que les lois nouvelles,