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les partis extrêmes, mais à les absorber et fondre autant que possible en un parti moyen capable d’entraîner les immobiles et de contenir les impatiens, cet art, Platon l’appliqua en maître au gouvernement et à la conciliation des pensées. On s’en convaincra si, laissant de côté les utopies irréalisables de sa République, on considère par quelle longue série de points intermédiaires il s’efforce, comme Socrate, mais avec une science plus étendue et une psychologie plus profonde, de relier les premières et obscures révélations de la conscience aux intuitions dernières de la métaphysique. Si sa polémique redoutable expulse sans ménagement les scories et les ordures du polythéisme, sa raison sait recueillir dans ce fumier les moindres parcelles de métal précieux. Autour de la vérité philosophique, centre et sommet de la connaissance, il échelonne à des rangs divers l’inspiration, la vraisemblance, la tradition, les mythes, c’est-à-dire les instincts, les pressentimens, les aperceptions, les tâtonnemens de la foi naturelle, pourvu qu’il n’y rencontre ni l’immoralité, ni l’injustice. C’est ainsi qu’au-dessous de son monothéisme flotte dans les régions inférieures du vraisemblable un polythéisme qui n’est qu’une théorie des causes secondes dont l’unité et la toute-puissance du dieu de la dialectique n’ont pas à souffrir. C’est ainsi qu’après avoir démontré scientifiquement l’immortalité de l’âme, il laisse la parole aux auteurs inconnus des dogmes populaires relatifs aux peines et aux récompenses. Platon inclinait, dit-on, au mysticisme ; sur cette pente, où s’est-il arrêté ? Humain et libéral par tant de côtés, ce sublime esprit ne fut-il pas trop grec, trop étroit par certains autres ? Mais enfant de la petite cité antique dont les fondemens étaient religieux plus encore que politiques, où les prêtres étaient choisis parmi les magistrats, où les lois purement laïques et conséquemment tolérantes n’auraient eu de sens pour personne, est-il donc si coupable d’avoir édicté contre les crimes religieux des peines sévères parfois jusqu’à la dureté ? Ce qu’il ne pouvait songer à détruire, n’est-il pas louable de l’avoir poussé de toutes ses forces dans les voies de la justice et de l’idéal ? Il fallait que le sentiment religieux fût singulièrement vivace en Grèce, puisque, après le théisme trop sobrement métaphysique d’Aristote, après l’athéisme matérialiste de ses successeurs, ce sentiment prit sa revanche, où ? dans le stoïcisme. Les stoïciens, à leur manière, il est vrai, mais d’une façon expresse, eurent leur dieu et leurs dieux, leurs démons, leurs héros, leurs oracles, leur divination, leurs chants sacrés. Était-ce prudence et habileté politique ? Cicéron nous apprend, et rien n’autorise à récuser son témoignage, que leur piété avait sa source dans de plus nobles considérations.

Ainsi, pendant cette première époque, de grands philosophes