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discrédit des mythes païens ? Purs et religieux comme ils l’étaient, n’auraient-ils pas enfin cédé à l’éclat de la lumière évangélique, à laquelle s’ouvraient les yeux même des barbares ? Séduits par la douceur, gagnés par la patience, ils seraient entrés dans le mouvement qui emportait déjà le monde, et y auraient apporté les énergies intellectuelles qui les animaient encore. La marche des esprits n’eût pas été suspendue. Charlemagne n’aurait pas eu à faire cesser cet interrègne de la pensée qui sépare les derniers alexandrins des premiers scolastiques, et après lequel l’éducation philosophique du monde fut à recommencer. Le génie grec, qui languissait de vieillesse, eût été rajeuni et vivifié par le souffle puissant qui fécondait l’univers, au lieu de tomber dans cette léthargie où s’engourdirent des forces dont l’humanité avait besoin apparemment, puisqu’elle se jeta avec avidité sur les œuvres d’Aristote, quand elle put les ressaisir, et sur celles de Platon, quand l’Orient les lui rendit. La renaissance n’eût point été nécessaire, ou plutôt elle se serait faite jour à jour, heure à heure, à dater de l’école d’Athènes et de Proclus, sous l’influence croissante et acceptée du christianisme.

Tout cela était-il possible ? Pourquoi non ? Quoi qu’on en pense et quoi qu’on fasse, on ne saurait s’empêcher de regretter qu’il n’en ait pas été ainsi. Cette maternelle antiquité, à laquelle le monde dut sa première civilisation, méritait une fin plus douce. Certes il suffit d’être un sincère ami des hommes pour reconnaître les bienfaits du christianisme, il suffit de savoir quelque chose et d’avoir gardé son bon sens pour comprendre que le paganisme serait mort naturellement, lors même qu’on ne l’y eût point aidé ; mais l’étude comparée de la mythologie et de la philosophie anciennes nous apprend à juger avec équité même cette religion grecque qui a si légitimement péri. Quelques idées vraies y étaient contenues, puisque des hommes tels que Pythagore, Socrate, Platon, les stoïciens, les alexandrins, crurent qu’il y avait lieu d’en conserver une importante part. Après l’avoir purgée de ses impuretés, on pouvait, sans être ni un insensé ni un fourbe, y rester fidèle, puisque les néoplatoniciens aimèrent mieux souffrir que de s’en détacher. Mettre ces choses en lumière, c’est simplement avoir souci de la vérité historique. Compatir aux douleurs et aux angoisses de ceux d’entre les derniers païens qui, en dépit de leurs erreurs, furent vertueux et sincères, cela est digne de la science en un siècle qui s’honore avec raison de voir dans tout vaincu dont la bonne foi est avérée un objet de sympathie et de respect.


CHARLES LEVEQUE.