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machine monstrueuse qui broie ses serviteurs à la moindre distraction, le gouvernement de la terreur broyait ceux qui le faisaient mouvoir, s’il leur arrivait d’avancer ou de retarder d’un pas. La comparaison même n’est pas tout à fait juste ; la plus terrible des machines procède par mouvemens réguliers, tandis que la machine terroriste, chauffée par des passions de toute espèce, obéissait à des caprices monstrueux comme elle. L’attention ne suffisait pas ici, ni le dévouement, ni le fanatisme ; il fallait ce que M. Quinet appelle très bien le tempérament, c’est-à-dire qu’il était nécessaire déposséder par nature ce qui est le contraire de la nature. Où les trouver, ces privilégiés du système ? « C’est là, dit le critique, ce qui préoccupait le plus Robespierre. Sa vie se passait à chercher les hommes de terreur, à les briser dès qu’il s’en était servi. Il put à peine, dans une société démocratique, en trouver deux ou trois qui répondissent à l’idée impossible, chimérique, qu’il se faisait de cette sorte de gouvernement : terrible et correct, inexorable et convenable, taciturne et oratoire, ombrageux et serein. »

Et lui-même a-t-il répondu toujours à son idée ? Il ne faut pas essayer de refaire après M. Quinet le portrait de Robespierre. D’autres ont raconté sa vie, décrit son intérieur et attaché une sorte d’intérêt à l’homme resté simple, intègre, incorruptible, au milieu d’un cataclysme de fureurs et d’ignominies. M. Quinet n’avait point à suivre Maximilien dans le modeste ménage du menuisier ; il fait l’histoire des esprits, c’est l’esprit de Robespierre qu’il a peint en traits définitifs. Un homme intègre tant qu’on voudra, si le mot d’intégrité ne jure pas trop avec l’espèce d’intelligence la plus étroite, la plus bornée, la plus mutilée que l’histoire ait jamais produite sur la scène, — un homme intègre tant qu’on voudra, mais un rhéteur infatué, un rhéteur pontifical, un rhéteur qui dogmatise et qui impose ses dogmes, avec cela une imagination peureuse, soupçonneuse, effarouchée, voilà tout Robespierre. Chez un peuple longtemps mineur précipité tout à coup dans les aventures de la vie publique, à travers les imaginations populaires « toujours partagées entre l’exaltation et la panique, » ce n’était pas trop pour nous conduire du génie le plus large et le plus net ; voilà le chef que la terreur a donné à la France ! En jugeant Robespierre avec cette précision et cette justice, M. Quinet montre bien qu’il est dégagé des superstitions révolutionnaires. On n’a que trop souvent chez nous identifié la révolution avec les hommes qui l’ont si misérablement représentée aux yeux du monde. Détrônons enfin ces tristes idoles, et le seul moyen de les détrôner, c’est de les confronter, comme fait ici M. Quinet, avec l’idéal vraiment humain de 89. En face de ces aspirations d’un peuple plein de vie et