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à l’action écrasante de la démocratie. M. de Tocqueville l’avait enseigné avant lui ; M. Quinet a repris la thèse avec les sentimens qui lui sont propres, et l’on a vu deux hommes venus des points les plus opposés*arriver à cette même conclusion : « si un peuple veut, être libre, il faut qu’il ait des croyances, et, s’il n’a pas de foi, qu’il serve. » Formé à l’école des États-Unis, M. de Tocqueville, en formulant cette loi, ne songe pas à autre chose qu’au christianisme ; confiant dans le génie inventif de la France au moment même où il semble lui jeter l’insulte, M. Quinet ne cesse pas de demander une révélation au peuple initiateur. Les moyens seuls diffèrent. Sous le bon sens pratique de M. de Tocqueville comme sous les illusions grandioses de M. Quinet, il y a une inspiration commune : l’un et l’autre sont persuadés que la foi est plus nécessaire que jamais à l’humanité moderne. En face des multitudes si peu soucieuses du droit individuel, M. de Tocqueville rappelle à certains égards le roseau pensant de Pascal ; il connaît la puissance aveugle qui menace de l’étouffer, mais, au lieu de se consoler par le sentiment de sa supériorité morale, il s’efforce de conjurer le péril en communiquant son âme à la démocratie. De là cette prédication si noble empreinte d’une virile tristesse. Nulle tristesse, nulle mélancolie chez M. Quinet ; c’est plutôt une indignation altière. Plus il a aimé la révolution comme une promesse de rénovation religieuse, plus sa colère éclate à la vue de l’autel sans flamme et sans Dieu. Ce Dieu, cette flamme, ce miracle, il l’appelle toujours, et si l’illusion opiniâtre du croyant lui dicte trop souvent des paroles regrettables, on ne peut méconnaître la grandeur du sentiment qui l’inspire.

Cette inspiration inattendue devait causer une véritable stupeur aux partisans des vieilles superstitions révolutionnaires. Préparés si peu à de telles exigences, et, pour ainsi dire, dépaysés violemment, ils ont prouvé par leur surprise même que là était le nerf du livre. Tel est précisément notre avis. Si l’on voulait donner une complète idée de l’ouvrage de M. Edgar Quinet, il y aurait à louer dans ce vaste tableau bien des scènes où se reconnaît un maître ; son étude sur Charlotte Corday, pour ne citer qu’un seul exemple, étincelle de traits de génie. Tous les juges cependant, sans distinction de parti ou d’école, ont senti que la nouveauté de ce manifeste était dans les préoccupations religieuses de l’auteur. Amis et ennemis en ont éprouvé un embarras visible. Pour ceux qui ont défendu l’œuvre de M. Quinet comme pour ceux qui ont essayé de la mettre en pièces, le débat se trouvait porté à des hauteurs inconnues.

En ce sens, on peut dire que l’audacieux écrivain a renouvelé l’étude de la révolution française ; la critique de cette terrible époque au point de vue de la morale souveraine a véritablement