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présentation. La vie commerciale de la grande métropole mercantile du monde allait, semblait-il, être frappée d’une subite paralysie. Il ne restait plus à la Banque d’Angleterre, dans les limites de ses statuts, qu’une réserve de 3 millions sterling à émettre en billets. Pour conjurer cette panique universelle, on a eu recours à la magie de la suspension temporaire de l’acte de la Banque, on a permis à la Banque de dépasser de quelques millions sterling la limite statutaire de ses émissions. Cette mesure empirique rétablira sans doute la confiance ; mais de bons esprits nient qu’elle fût nécessaire et en contestent la sagesse. Il est certain que la crise de cette année n’a point eu pour cause la rareté des billets de banque. La cause profonde et depuis longtemps prédite du mal a été un mouvement de spéculation tendant à l’excès les ressorts du crédit anglais. Ce qui distingue les procédés du crédit anglais, c’est la dextérité ingénieuse avec laquelle on y économise l’emploi du capital et du numéraire. Les traits généraux de ce mécanisme ingénieux du crédit sont aisés à expliquer. Une banque se fonde sur un capital déterminé, divisé en actions ; elle ne demande à ses actionnaires que le versement d’une fraction minime de l’action. Les actionnaires demeurant responsables pour la totalité du montant de leur souscription, la banque entreprend les affaires sur le pied d’un crédit proportionné à son capital nominal, tandis qu’elle n’a réalisé et ne possède réellement qu’une fraction de ce capital. Le métier de la banque consiste à attirer à elle en dépôts, au moyen de l’allocation d’un intérêt, les fonds roulans du public et à prêter ces fonds à un intérêt plus élevé à l’industrie et au commerce. Dans cette première période, tout va bien, pourvu que la banque ne répartisse les capitaux dont elle a le dépôt qu’en prêts garantis par des valeurs de commerce qui représentent des dettes à échéance prochaine, et qui sont par l’escompte toujours faciles à réaliser. Malheureusement au système florissant des banques de dépôt, on a superposé à profusion dans ces dernières années, à cause des profits que la fièvre de l’agiotage donnait à l’émission de leurs titres, des sociétés financières, véritables banques de commandite et instrumens d’immobilisation des capitaux. Ces sociétés adoptèrent le procédé commode de se donner du crédit par l’importance nominale de leur capital de fondation, dont une faible partie seulement était versée ; elles se mirent à créer des entreprises et à les commanditer, et dans leurs besoins d’argent abusèrent du crédit qu’elles trouvaient auprès de certaines banques de dépôt imprudemment dirigées. C’est ainsi qu’une portion du capital de roulement de l’Angleterre a été détournée et engagée dans des immobilisations lointaines, aux colonies, à l’étranger. Lorsque les besoins d’argent sont devenus plus pressans sous l’influence des inquiétudes politiques dont l’Europe est travaillée, le crédit se resserrant et les capitaux immobilisés ne pouvant être dégagés par la vente des titres qui en étaient la représentation, la machine s’est nécessairement arrêtée. Une immobilisation intempérante de capitaux,