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Pierrefonds et sur tant d’autres titaniques produits de l’architecture féodale. La vraie grandeur d’un monument, c’est son histoire, et quand je passe en revue les misérables querelles de vassal à souverain, tout ce banditisme héroïque que fournit la majeure partie des annales de ces châtellenies, j’ai bientôt fait de trouver la raison de certaines illusions d’optique et de m’expliquer pourquoi, moindre, la Wartbourg de la guerre des chanteurs, de sainte Elisabeth et de Luther, que je venais de voir, me semblait pourtant plus grande que ce colossal Pierrefonds.

Et maintenant où allons-nous ? Guerre de trente ans, de sept ans, de six mois ? — Que veut-on ? Pour la durée probable, rien ne se peut prévoir ; autre chose est de l’acharnement, de la furie. S’il convient de juger de la pièce par le prologue, si les levées en masse, les enrôlemens volontaires, les enthousiasmes jusqu’au délire sont des signes auxquels on puisse se fier, la lutte qui menace de s’engager aura pour caractère de dépasser en férocités implacables tout ce qui s’est vu depuis les Mansfeld et les Tilly. Il se peut que la Prusse, qui a tout provoqué, triomphe sur un monceau de ruines, il se peut aussi qu’elle y soit engloutie. Quant aux vrais amis de l’Allemagne, leur douloureuse et navrante émotion n’affecte point leur sécurité. Ils savent d’avance que l’Allemagne ne périra pas, et ce qui fait aujourd’hui la force de l’Autriche, c’est d’avoir pris position du côté de ce droit inexpugnable. Le germanisme intense de l’Allemagne elle-même, voilà ce qui surtout caractérise la crise actuelle. Elle a beau ne pas être politiquement unie, elle se sent une et se rattache au Bund par la seule raison qu’à Francfort se trouve à cette heure le siège de l’antagonisme le plus vif contre la Prusse. La force d’impulsion qui fait se dresser l’Italie comme un seul homme ici n’a rien à prétendre. Il n’y a en Allemagne point d’étranger ; tous les princes tiennent au sol et non moins que les peuples représentent l’élément national et les traditions historiques. Pour produire ce qu’on appelle l’unité de l’Allemagne, il faudrait de bien autres bouleversemens. Se grouper autour de l’idée démocratique, marcher à la conquête de l’unité absolue en prenant pour cri de guerre la haine contre la France, un tel programme ne date pas d’hier, on le connaît ; mais pour qu’il s’accomplît, il faudrait que les gouvernemens fussent aujourd’hui ce qu’ils étaient avant 1815, les populations appauvries, misérables, le vent aux révolutions. C’est là ce que M. de Bismark n’a pas compris, et c’est pourquoi sur lui se concentre en ce moment la haine de la Germanie entière. A lui reviendra l’étrange honneur d’avoir fait jouer à la Prusse le rôle de forestière, de celui qu’on veut maintenir dehors. Chose curieuse d’examiner à ce point de vue les routes diverses où