Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 63.djvu/629

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bien étranges et même fabuleuses à propos du règne de mille ans. « Ce doit avoir été un petit esprit, dit-il, à en juger par ce qu’il dit. » Cela est fort possible, mais Eusèbe affaiblit singulièrement la portée de son jugement quand il ajoute que, grâce à lui, la plupart des hommes d’église de son temps ont été imbus des mêmes erreurs. Enfin, après cette analyse faite à bâtons rompus d’un ouvrage qui, d’après les déclarations de l’auteur, devait se distinguer par un plan strictement suivi, Eusèbe se remet à citer deux passages se rattachant évidemment à ce que Papias disait en commençant de son peu de goût pour les Évangiles écrits et de sa préférence hautement avouée pour la tradition orale.


« Le presbytre (probablement le presbytre Jean) a dit aussi : Marc, devenu interprète de Pierre, écrivit exactement, mais sans ordre, tout ce qu’il se rappelait des choses dites ou faites par le Christ (τά ύπό τοϋ Χριστοϋ ή λεΧθντα ή πραΧέντα). Lui-même en effet n’avait pas entendu ni suivi le Seigneur ; mais plus tard, comme je l’ai dit, il se joignit à Pierre, qui réglait ses enseignemens d’après les besoins (de ses auditeurs), et ne rangeait pas les discours du Seigneur dans un ordre régulier. Marc n’est donc pas coupable d’avoir ainsi écrit un petit nombre de choses telles qu’il se les rappelait, car il n’eut qu’un souci, celui de ne rien oublier de ce qu’il avait entendu et de n’y rien mettre de faux. Voici maintenant (continue Eusèbe) ce que Papias dit sur Matthieu : Matthieu écrivit en langue hébraïque une collection des a divines sentences (λόγια), » mais chacun les traduisit comme il put. »


Le reste du chapitre d’Eusèbe n’a plus d’intérêt pour nous ; mais nous avons tenu à mettre sous les yeux du lecteur ce fragment où se trouvent les plus anciennes traces de la tradition relative aux documens de l’histoire évangélique, et dont les différentes parties réagissent l’une sur l’autre de manière à s’éclairer mutuellement. L’erreur capitale de l’ancienne critique sacrée fut de s’en rapporter exclusivement à une tradition ecclésiastique formée sans aucune critique et sous l’influence de partis-pris dogmatiques ; mais ce serait une erreur non moins regrettable de la critique moderne de se refuser absolument à chercher des lumières dans les traditions antiques. Elles fournissent tout au moins une base d’orientation. Cela posé, quelles conséquences a-t-on le droit de tirer des déclarations de Papias ?

En premier lieu, nous y trouvons la preuve de fait que Gieseler avait raison quand il prétendait que la transmission orale, la « tradition vivante et permanente, » avait été le plus ancien mode usité pour perpétuer la connaissance de l’histoire évangélique ; mais nous y voyons aussi que du temps de Papias et malgré les répugnances que cette méthode nouvelle soulevait chez les vieux routiniers comme lui, il y avait déjà dans la circulation des documens écrits