Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 63.djvu/634

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de dissémination systématique, sont encadrés par le premier Évangile dans un récit parallèle à celui de Marc. L’auteur de cet Évangile a donc cherché à combiner avec le Proto-Marc une collection de paroles ou sentences du Christ qui nous font reflet de discours à cause de leur encadrement historique, mais qui sont en réalité autant de groupes de dires de Jésus réunis par l’analogie intérieure et non par l’ordre du temps. Aussi peut-on découvrir plus d’une fois des discordances entre le contenu des discours et la chronologie de l’Évangile. Par exemple, dans le sermon de la montagne, qui semble remonter tout au commencement du ministère de Jésus, on l’entend parler en Messie accepté au moins par ses auditeurs, tandis que le même Évangile à qui nous devons cet incomparable enseignement nous apprend huit chapitres plus loin à quelle occasion et dans quel moment Jésus fut salué pour la première fois du titre messianique. De même le chapitre XIII nous offre une série de paraboles se succédant coup sur coup, et s’il est certain que Jésus affectionnait ce genre d’enseignement populaire, rien de moins vraisemblable que la supposition d’après laquelle il aurait lancé l’une après l’autre, et sans intervalle appréciable, toute une masse de paraboles dans la foule rassemblée autour de lui. En un mot, lorsqu’on poursuit ce travail de désagrégement en séparant les enseignemens de Jésus propres au premier Évangile des récits qu’il a en commun avec Marc, on se voit en face d’une véritable collection de sentences tournant autour de l’idée du royaume de Dieu ou des cieux que Jésus veut établir sur la terre, et l’on peut distinguer sept groupes que nous intitulons comme il suit : — la législation du nouveau royaume (sermon de la montagne), — la propagation du nouveau royaume (instructions aux apôtres), — l’apologie du royaume repoussé par la génération contemporaine, — les paraboles du royaume, — les rangs divers dévolus à ceux qui y entrent, — la malédiction des ennemis hypocrites du royaume, — l’établissement définitif du royaume dans le monde jugé par le Fils de l’homme.

Une pareille division, que nous pourrions mieux préciser, mais que nous ne créons pas, suppose évidemment une composition indépendante de la chronologie, groupant les enseignemens multiples de Jésus autour d’une idée centrale et par ordre de sujet. Si l’on se donne la peine d’en suivre le fil, on sera non-seulement frappé de la suprême beauté de presque toutes ces paroles de Jésus, mais aussi du remarquable parfum d’antiquité des premiers jours qu’elles exhalent. Évidemment celui qui a recueilli ces sentences l’a fait en plein état juif, avant la destruction de Jérusalem et du temple. Qui donc eût songé plus tard à s’exprimer de cette manière : « si tu viens présenter ton offrande à l’autel, et que là il te souvienne que ton