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extérieures et, comme on dit, matérielles pour confondre l’œuvre apocryphe. Quelle était, en l’absence de toute bonne indication de provenance, l’unique raison sur laquelle on appuyait la prétendue authenticité des lettres à Marie-Thérèse que les deux recueils français avaient admises[1] ? C’était l’existence d’originaux et de minutes autographes. Or il se trouve que les fabricateurs ont ignoré, comme tout le monde, cette première et informe écriture, successivement transformée, de Marie-Antoinette, et leurs documens, portant avec eux-mêmes leur condamnation, offrent pour toutes les premières années le caractère d’écriture qui n’a été celui de la reine qu’après 1780. Un seul regard sur ces documens comparés suffirait à une foule réunie pour la convaincre. En second lieu, cette information est de nature à nous faire mieux comprendre la correspondance authentique entre Marie-Thérèse et sa fille. L’impératrice, qui avait eu le grand tort de ne pas veiller d’assez près à cette éducation, est humiliée, — c’est sa propre expression, — quand elle reçoit les premières lettres de la dauphine, et au nombre de ses pressans conseils, que l’on entend mieux désormais, elle place en première ligne le conseil tout pratique de prendre des leçons d’écriture. De plus, l’inexpérience de Marie-Antoinette dut évidemment, pendant quelques années au moins, restreindre et le nombre et l’essor, représenté à tort comme si brillant, de ses correspondances ; peut-être y gagnons-nous en revanche ce caractère de sérieuse intimité qui nous permet de saisir déjà quelques traits principaux de la vraie physionomie de la reine.

Son éducation a pu être sur quelques points, même importans, superficielle et inachevée ; elle n’en a pas moins reçu un fort enseignement moral, puisé soit dans les exemples respectés de l’impératrice sa mère, soit dans l’esprit de race et dans le sentiment de sa haute naissance. Cette dauphine de quatorze ans et demi peut bien ne pas savoir très familièrement écrire ; elle n’en est pas moins la personne de sang impérial singulièrement supérieure à la femmelette qu’on nous a offerte. Elle n’exprime pas, quand elle écrit, de sinistres pressentimens que sans doute elle n’a pas conçus : la pensée qu’un futur désastre pût monter assez haut pour l’atteindre n’est pas entrée dans son esprit. Sa vraie correspondance ne la montre à l’avance ni étonnée ni dégoûtée des grandeurs. Ce n’est pas elle qui a écrit à ses premières heures de royauté : « Quelque chose me serre à la gorge comme un étau ; j’ai des momens de frisson ; j’ai comme peur, et le roi me disait tout à l’heure qu’il était

  1. Nous croyons qu’on ne peut admettre comme authentique, parmi les lettres à Marie-Thérèse contenues dans les deux ouvrages de MM. d’Hunolstein et Feuillet de Conches, que celle du 14 juin 1777, que donne ce dernier.