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mystérieusement, trois ans à l’avance, le procès du collier, ne manque pas de produire de reflet. Nous aimons cependant mieux, s’il faut absolument des présages, les paroles authentiques de Marie-Thérèse à sa fille dès 1777 : « La place que Rohan doit occuper m’afflige ; c’est un cruel ennemi tant pour vous que pour ses principes, qui sont les plus pervers. Sous un dehors affable, facile, prévenant, il a fait beaucoup de mal à Vienne, et je dois le voir à côté du roi et de vous ! Il ne fera guère d’honneur non plus à sa place comme évêque. » Les lettres qui suivent dans la série apocryphe ne tarissent pas de détails sur « l’abominable affaire, » et voici comment elles font parler la reine : « L’audace avec laquelle le cardinal soutient son dire a mis le roi hors de lui et m’aurait rendue malade de dégoût, si je n’avais besoin de lutter et de garder toutes mes forces pour soutenir de si cruels assauts… J’ai désiré dès le principe que le roi punît lui-même l’indécente conduite de ce cardinal par la démission forcée de sa charge et par l’exil ; M. de Breteuil ne m’a point secondée à cet égard, et le roi, toujours esclave des formes, a voulu renvoyer cette intrigue à son parlement… » Ce ton d’accusation et de colère continue jusqu’à l’explosion finale, réservée pour une lettre que Marie-Antoinette aurait adressée, comme les précédentes, à sa sœur Marie-Christine, en date du 1er septembre 1786, et qui figure dans les deux recueils français : « Je n’ai pas besoin de vous dire, ma chère sœur, quelle est toute mon indignation du jugement que vient de prononcer le parlement… Je suis noyée dans des larmes de désespoir… C’est odieux et révoltant ; je ne méritais pas cette injure ; moi, Française jusqu’au fond du cœur, être sacrifiée à un prêtre parjure, à un intrigant impudique ! Quelle douleur !… »

Tout cela est trop dramatique : la vraie Marie-Antoinette a eu l’émotion plus sobre et plus contenue. Elle ne s’est pas, comme on l’a vu, préoccupée avant tout de sa propre vengeance, mais bien plutôt, — c’est un trait à noter, — des conséquences, plus graves pour le cardinal qu’elle ne le croyait d’abord, que pourrait entraîner la poursuite. Elle n’a pas demandé, comme on le lui fait dire, la destitution et l’exil. Enfin elle n’a pas écrit de pareilles choses à cette sœur Marie-Christine qu’elle connaissait à peine, et surtout elle n’a pu dire le 1er septembre que l’arrêt du parlement qui acquittait le cardinal de Rohan était récent alors, puisque l’arrêt est du 31 mai ! Si c’était une simple erreur de plume qu’elle eût commise, cette erreur, qui se montre sur la prétendue pièce originale, possédée par l’un des deux collectionneurs, ne se retrouverait sans doute pas sur la minute non moins autographe dont l’autre est l’heureux possesseur, et elle ne reparaîtrait certainement