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français, mais qui ne nous inspirent aucune confiance[1], ses « frissons d’horreur » et son « émotion à en être malade ? » — Les lettres authentiques publiées par M. d’Arneth ne nous présentent aucun témoignage de ce genre, pour plusieurs motifs qu’il n’est pas difficile de deviner. Son livre nous donne, pendant toute cette période, une double série de lettres à Léopold et de billets à Mercy. La série des lettres à l’empereur, si l’on examine les dates et les points de repère, peut passer pour complète. Il n’y a pas lieu de s’étonner que Marie-Antoinette n’y parle pas de Mirabeau : Léopold n’a succédé à son frère Joseph qu’au mois de février 1790 ; au mois de mai, Marie-Antoinette lui a écrit peut-être pour la première fois. En tout cas, elle était bien loin d’avoir avec lui les liens d’intimité et de confiance qui l’unissaient à Joseph. On ne voit pas à quoi il eût servi qu’elle le tînt dès lors au courant de la négociation, mais on voit très bien au contraire que la moindre indiscrétion eût été singulièrement périlleuse : elle eût envoyé à la mort un homme qui se dévouait ; elle eût ruiné l’instrument auquel on avait résolu de recourir. La négociation est tenue si profondément secrète que Mme Elisabeth elle-même, à la fin de cette année 1790, n’en sait pas un mot. Quant à Mercy au contraire, c’est lui, avec le comte de La Marck, qui avait noué ces relations de Mirabeau avec la cour ; il était d’ailleurs le confident habituel de la reine : on conçoit donc que la reine lui rende compte, à lui le premier, à lui tout seul peut-être, des incidens de la négociation. Elle le fait par de courts messages, des billets plutôt que des lettres, avec un style tout d’affaires, et, bien entendu, sans se donner le vain plaisir de raconter ses terreurs. « Nous comptons voir M… vendredi soir, écrit-elle quelques jours avant la fameuse entrevue du 3 juillet ; j’ai trouvé un endroit non pas commode, mais suffisant, pour le voir et pallier tous les inconvéniens des jardins et du château. Il me semble que vous devez le voir bientôt. Je ne serais pas fâchée que ce fût samedi, pour savoir l’effet qu’aura produit sur lui la visite de la veille. » Ce n’est pas de sa propre émotion, comme on voit, qu’elle se préoccupe ici, mais plutôt de celle de Mirabeau et de l’effet qu’elle-même aura produit ; il faut renoncer aux effets dramatiques[2].

  1. Ce n’est ici ni le lieu ni l’occasion d’une exposition détaillée et complète de tous les doutes et de toutes les preuves, qui viendra en son temps.
  2. Croira-t-on facilement après cela, en l’absence de toute indication de sûre provenance, à l’authenticité de billets comme celui-ci, qui se trouve sous la même date dans le recueil de M. d’Hunolstein : « Tenez, monsieur le comte, plus je réfléchis à la démarche préparée, plus il s’élève de doutes dans mon esprit ; il faut absolument les dissiper ; j’en ai une sorte d’horreur malgré moi. » Est-ce la même personne qui écrit à peu d’intervalle de façon si différente ?