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d’une telle mère, courageuse, forte d’âme, résolue, en même temps que riche de grâce et de charme, se trouva-t-elle réduite à voir se tourner en instrumens d’infortune de grandes qualités qui eussent dû, par un autre emploi, lui gagner tous les cœurs ?

L’esprit de race a fait l’éclat et le malheur de Marie-Antoinette. Aujourd’hui que le mélange des classes a mis en commun toutes les données de l’intelligence et de la morale, il est malaisé peut-être d’imaginer combien ce qu’on appelait la naissance pouvait élever de distinctions et de barrières souvent infranchissables. L’éducation tout à part qui en résultait pouvait développer les heureuses énergies de certains caractères, mais précisément d’une manière exclusive et au détriment de quelques-unes des plus légitimes influences de leur temps. Marie-Antoinette avait reçu cette sorte d’éducation morale au sein des traditions de la puissante maison d’Autriche, docilement conservées et transmises par la sincérité germanique. Transportée de là en présence des mobiles transformations d’idées et de mœurs dont notre pays était le théâtre, on comprend qu’elle soit restée presque inaccessible à tel sentiment qui, en d’exceptionnelles circonstances, s’exaltait prodigieusement sous ses yeux. Il est clair que l’esprit de la race prima chez elle en tout temps l’idée nationale, et elle ne se familiarisa jamais avec la nécessité de dédoubler ses affections pour les partager au moins également entre l’Autriche et la France. On l’a vue n’admettre que l’indissoluble union des deux pays comme unique condition de leur fortune politique, et sa préoccupation exclusive, dans l’affaire de Bavière ainsi qu’en 1784, a été de sauvegarder les intérêts de l’Autriche. Elle a glissé sur cette pente dangereuse jusqu’à la fatale confusion qui lui a fait écrire l’avis à Mercy du 26 mars 1792. On ne doit pas du reste oublier dans quelles conditions elle a commis cette faute. Si elle admettait la nécessité de l’intervention étrangère, qui pouvait amener une guerre au dehors, c’était par une profonde horreur de la guerre civile et de l’effusion du sang dont il faut lui tenir un grand compte. Elle souhaita pendant longtemps que cette intervention ne fût que diplomatique et demanda ensuite un congrès armé, l’un ou l’autre moyen devant servir, selon sa pensée, d’appui matériel et moral au concours dévoué de la partie saine et modérément libérale de la nation : entre deux extrémités cruelles, l’horreur de l’une la rejetait vers l’autre avec un pareil effroi. Aussi ne dirons-nous pas qu’elle a été vraiment une politique, ni qu’elle a eu un véritable système politique ; certains sentimens l’ont seuls dirigée. Nous savons aujourd’hui ce qu’il y avait de pur patriotisme dans cette jeune armée de 1792 qui représentait la France nouvelle ; combien ne comptait-on pas dans ses rangs de nobles cœurs heureux d’échapper par la