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faire deviner dès le premier regard. Les types sont étudiés avec fidélité, mais c’est là un soin si facile qu’il est superflu d’insister. Cette toile est séduisante, chaude, bien venue, et je la préfère sans hésitation à ce grand Saint Vincent de Paul prenant la place d’un galérien. M. Bonnat s’est beaucoup trop fié à sa facilité, et il a échoué ; il faut avoir le courage de le lui dire. Ce n’est pas un tableau, c’est une improvisation à la Fa-presto ; il est évident que le peintre s’est hâté et n’a pas consacré à une œuvre de cette importance le temps matériel qu’elle exigeait. Laissons la rapidité de la vapeur à l’industrie et gardons pour l’art les sages lenteurs dont il a besoin sous peine de ne plus être. La coloration est savante, il est vrai, car c’est là une qualité innée chez M. Bonnat, mais elle est cependant inférieure à celle des Paysans. Aucune des difficultés n’a été attaquée de front, toutes ont été tournées, j’allais dire escamotées ; les muscles sont creux et vides ; il n’y a rien sous la peau ; on ne sent point l’armature osseuse ; c’est une bonne ébauche qui a besoin d’être reprise, travaillée, terminée avant d’être un tableau ; actuellement elle est molle et sans force, et demande à être exécutée pour prendre toute sa vigueur. Il ne suffit pas d’indiquer une composition, il faut la dessiner, la charpenter, la peindre, si l’on veut être pris au sérieux. Et puis pourquoi cette préoccupation, cette réminiscence au moins inutile des maîtres espagnols ? Ne serons-nous donc jamais que des imitateurs et n’avons-nous pas en nous assez de ressort pour créer quelque chose ? Il me semble qu’il est bien temps de sortir des ornières italienne, espagnole, hollandaise et flamande, et de faire enfin du français ; nous y gagnerons au moins d’avoir de l’originalité. Il faut voir où cette manie déplorable d’imitation a conduit M. Ribot ; il annihile et neutralise à plaisir un talent très recommandable, une habileté de main peu commune et une science de coloration que beaucoup pourraient envier. A quoi aboutissent tous les efforts que je reconnais dans le Jésus au milieu des docteurs ? A rien, ou à faire dire qu’on aime mieux l’Espagnolet. Mais si à M. Ribot je préfère Ribeira, je préfère M. Ribot à M. Roybet, et cependant ce dernier s’est donné bien du mal pour imiter cet imitateur. On cherche à faire quelque bruit autour du tableau de M. Roybet, un Fou sous Henri III ; en toute sincérité, c’est puéril. Cette toile a l’importance d’un beau morceau d’étoffe. Un fou noirâtre et grimaçant, peu d’aplomb sur des jambes très mal dessinées, montrant une main de charbonnier trop petite et sans attache, tient en laisse deux chiens au milieu d’une campagne où les arbres ferment l’horizon. Tout le mérite du tableau est dans le ton rouge du vêtement s’enlevant en vigueur sur un fond d’un vert sombre et étouffé. En