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efforts ont été faits, et je n’en doute pas, ils n’ont donné aucun résultat vraiment sérieux et rassurant. Rien n’est venu réchauffer le sang refroidi de l’école française ; elle semble se contenter de ses gloires d’autrefois et ne plus vouloir en essayer de nouvelles : il lui suffit d’avoir eu Gros, Decamps, Ingres, Flandrin, Delacroix, Rude, Pradier, David, Marilhat, A. Scheffer ; elle se repose, elle est impuissante ou stérile. Il est dur d’avoir à constater ce fait douloureux, mais à quoi servirait de le cacher ? Il frappe les yeux les mieux prévenus. En dehors de l’atmosphère ambiante qui pèse sur les artistes aussi bien que sur les autres hommes, une cause particulière semble les affaiblir de plus en plus et leur enlever la force qu’ils auraient peut-être pu conserver. Il faut le répéter encore, le répéter à satiété, dans l’espoir qu’enfin on sera entendu. Ils sacrifient tout à l’habileté de la main, c’est-à-dire au métier, et ils ne comprennent pas qu’en agissant ainsi ils paralysent la force créatrice du cerveau, d’où l’art émane. Chaque jour ils semblent resserrer le champ de leurs recherches, au lieu de l’élargir par une étude incessante des choses de l’esprit, qui seule peut les conduire à l’intelligence pratique de celles de la nature. Je n’ose insister sur ce point, qui est très pénible ; mais lorsque je pense au savoir encyclopédique des peintres d’autrefois et à l’indifférence de ceux d’aujourd’hui, je ne suis pas surpris de la décadence anticipée qui les atteint.

L’heure est grave cependant, et il faut y faire quelque attention. L’année prochaine, une exposition universelle doit attirer à Paris un immense concours d’étrangers. Les peuples du monde se donneront rendez-vous dans notre ville. L’art sera-t-il inférieur à l’industrie ? Le grand intérêt sera-t-il pour les faïences peintes ou pour les tableaux, pour les statues ou pour les candélabres ? D’ici là un effort sérieux, considérable, ne peut-il pas être fait ? Ne pourrons-nous pas prouver à l’Europe entière que nous avons gardé cette supériorité en matière d’art dont jadis nous étions justement fiers ? Nous nous trouverons en présence des écoles anglaise, belge, allemande, dont cette fois les œuvres ne seront point mêlées à celles de l’école française ; nous faudra-t-il amener ce pavillon que nos maîtres ont si glorieusement tenu ? Nous adjurons les artistes de redoubler d’efforts, de comprendre que l’instant est suprême, de ressaisir au moins ce sceptre-là avant qu’il n’échappe aux mains de la France, et de prouver que nous n’avons pas perdu toutes les traditions qui ont fait notre gloire passée.


MAXIME DU CAMP.